certificat de conformité obtenu le samedi 12 juillet 2008

cash 03

 

 Toutes ces grandes personnes si bien élevées, si bien comme il faut, qui avaient eu l’occasion et l’envie de s’intéresser au contenu de ce petit livre, recueil de lettres et de poésies, dont l’exercice d’écriture m’avait supportée et tenue plus ou moins en vie pendant la période de gestation de cet amour mort-né, reliées par des mots, des phrases entières, des pages qui s’imposaient à moi comme une chance de survie et comme la mise en place d’un plan de travail du deuil qu’il me faudrait faire tôt au tard, avaient-elles été choquées de mon impudeur naïve d’écrire en gros caractères ce qu’il ne faut surtout pas oser penser dans l’intimité de sa propre tête ?

Blanc radio, “no comment”. Mon arc-en-ciel avait fondu dans un brouillard d’indifférence opaque. La majorité silencieuse s’était liquéfiée en petites mares d’eau boueuse où surnageaient mes précieux exemplaires, comme un régiment de bouteilles à la mer s’exerçant aux évolutions en terrain mouvant.

Un soir, pourtant, j’ai eu une réponse. Celle d’entre les autres qui n’avait pas eu peur de s’immerger dans l’épaisseur de mon délire m’a emmené déposer “l’arc-en-ciel radio” dans les bacs d’une société protectrice des auteurs-compositeurs. Un coup de tampon encreur sur la première et la dernière page, une signature, le type me rackette de trente euros, et nous sommes libres.

 C’était chouette d’être avec Laurence, de remonter les Champs-Elysées dans sa décapotable jaune, de traverser le Bois de Boulogne comme une voie royale sous les rayons du soleil de mars pour retourner à Saint-Cloud. 

Mon livre était devenu un petit écureuil exotique perché sur mon épaule, que je promenais partout avec moi et qui amusait les gens qui croisaient ma route. Une invisible présence insolite qui détournait de moi la malveillance débonnaire des Autres (encore eux !) et me dispensait d’observer les convenances lorsque je me risquais à suivre Marc-Louys dans les rassemblements d’artistes où il aime aller rencontrer des amis. Espaces coloristiques où les murs sont recouverts jusqu’aux plafonds de tableaux, toiles peintes par un incompris qui par miracle a trouvé ce moyen pour canaliser son mal-être et expulser les monstres qui squattent son cerveau. Espaces de création où des déesses de bronze noir chevauchent des gerbes de fleurs séchées, où des épis de blé poussent entre les douves des vaisseaux de bois, fendent les cercles de métal, sacralisant le pain et les fêtes du partage. Espaces de mode où les jeunes femmes sont des bambous flexibles habillées de fumée de cigarette, que le léger courant d’air faufilé par l’entrebâillement d’une fenêtre fait fuir en volutes irisées. Espaces-fosse où les molosses bien nourris éventrent les bâtards pitoyables, où des corniauds pelés baisent les jeunes chiennes sans lâcher l’os qu’ils ont trouvé dans la poubelle. Espaces à voyager dans le temps où les mots sont gonflés du sang noble de ceux qui les martèlent, éclaboussures d’insolence au cœur de ceux qui les marmonnent en dormant. 

Mon livre était devenu ma carte de visite, que je remettais gracieusement à tous ceux dont le regard me prouvait que j’étais unique, et que je portais bien cet amour anachronique.

C’est ainsi que m’a regardé René Strubel, le serial sculpteur anarmystique, lorsque nous nous sommes croisés à Montmartre, au pied de la basilique du Sacré-Coeur. Cette nuit-là l’espace Saint-Pierre recevait les amis de Charles Duits, le poète du tonneau des Surréalistes, et dont le fils Emmanuel a fait ressurgir l’oeuvre.

“Le Pays de l’Eclairement” est un prodigieux voyage sensoriel sous l’empire du peyotl, et Charles Duits nous en rapporte une description sublime jusque dans la justesse des couleurs. Lire absolument “le Pays de l’Eclairement” avant de consommer des substances hallucinogènes, et le lire même si l’on compte rester à jeûn.

Jean-Paul n’avait pas voulu de moi, ni pour amante, ni pour amie. Je voulais cependant continuer à écrire des lettres libres, que j’enverrais à un destinataire de coeur, qui seraient ouvertes comme on ouvre un cadeau et lues comme autant de poèmes. Des lettres vivantes où je ne sois pas obligée à un sujet et à un décorum, comme dans ces courriers administratifs dont je me suis toujours imposé de soigner la rédaction pour ne pas perdre l’usage de ma langue maternelle, le français.

On peut toujours écrire des trucs amusants, même s’il ne s’agit que de formuler une demande de logement à un organisme administrateur de logements sociaux ou habitations à loyer modéré.

 Pour exemple cette lettre que j’avais envoyé à Jacques Chirac, alors Maire de Paris. 

 

 Saint Cloud le 15 juin 1994

 

Monsieur le Maire,

J'ai l’honneur de solliciter

de votre haute bienveillance

(avant le départ en vacances

de qui se doivent concerter

pour donner satisfaction

à la loyale administrée

que j’étais, suis, et resterai

jusqu’à mon ultime éviction

des listes de contribuables

où j’ai l’honneur de figurer),

ma tâche, sinon noble, est louable :

la décrire, vous épargnerai.

Sachez seulement que je suis

agent à la ville de Paris

et l’âtre du foyer monoparental

dont je suis le vaillant pacha

resplendit d’un feu convivial

du fait de ce fonctionnariat.

 

Cette introduction étant faite

à mon propos je dois venir.

Ainsi, ma présente requête

traduit mon souci d’à-venir.

J’ai tout dit déjà, ou, plus juste,

tout écrit. Dans mon dossier,(

dont le numéro vétuste

figure en-tête du courrier)

je raconte ce qu’il m’en coûte

de solliciter les puissants

pour un problème somme toute

banal : oui, quoi, un logement...

Cependant j’y tiens; c’est la base

de la cohésion du noyau

familial. Foin des grandes phrases,

ce logement, il nous le faut !

Mais le ton monte, et mon discours

de révérent qu’il se doit d’être

prend à mon insu un tel tour

qu’un terme je me dois d’y mettre.

Souffrez donc ces bénins écart

sau décorum, Monsieur le Maire,

Et que sous peu, en vos remparts,

Je vive mon statut de mère.

Mes garçons sont nés à Paris

Moi itou, et mes père et mère.

Frère et soeur y ont leur logis

Nés tous deux rue Louis Lumière.

J’y travaille, excusez du peu.

Home is where heart  is, dit-on :

Mon coeur, soudé à ma raison

M’a dicté ces couplets boiteux

A votre adresse. Et j’en espère

La réaction qui convient

de votre chef, Monsieur le Maire,

et vous prie d’être bien certain

de mes salutations les plus respectueuses,

ainsi que de mes remerciements très sincères. 

 

«

Chichi avait-il aimé mon “Ode pour un Logement ? Avait il pris seulement le temps de la lire ?

Je n’ai pas reçu de réponse. Je n’en ai pas moins continué mes bombardements épistolaires, parce que je voulais vraiment obtenir un appartement dans Paris, où j’avais mon travail rémunéré (fonction publique).

Un jour, j’ai reçu une lettre de l’OPAC, un logement s’était libéré pour moi dans une cité rue de la Fontaine à Mulard, Paris 13ème.

On décide d’aller faire une reconnaissance de terrain. C’est Béatrice qui nous emmène dans sa petite voiture.

Nous y voilà.

La cour jonchée de cacas de chiens, des cadavres de bicyclettes dépouillés des roues, freins, selles, garde-boue, ancrés aux arceaux tordus par des antivols rouillés. Plus aucune vitre aux portes d’entrée des halls. Tous les interphones arrachés. Tous les murs taggés grave. Dans les escaliers les fils d’alimentation électrique pendouillant le long des murs ou raccordés au compteur avec du papier aluminium. A toutes les encoignures, des gamins au crâne rasé sniffent de l’éther.

Bon, on se casse d’ici avant qu’ils ne nous aient crevé les pneus de la voiture. C’est pas que je m’ennuie, mais je ne supporte pas l’odeur de l’éther.

Je n’ai pu m’empêcher de faire une lettre à Monsieur Jean-Pïerre Fourcade, alors sénateur-maire de Saint-Cloud, qui avait bien voulu me pistonner pour que je bénéficie de cette attribution de logement ...

 

 

 


 

1. aurore  le 12-07-2008 à 18:48:12  (arc-en-ciel radio)

charmant accueil, oh la vache !!! pffff..tu es mieux au Maroc je pense...

   They're gone
 
 
 
 
 

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