Ce soir-là, toute la troupe débarque Gare de Lyon ; Andréane, vraie mordue de Theme Park, ajoute du sel dans les frites pour faire boire ses clients, et de la caféine dans les boissons chaudes pour booster l’enthousiasme ; Léo zappe vaguement d’une chaîne câblée à l’autre.
En attendant l’entrée en piste de Jean-Paul Bourre, dans une vingtaine de minutes, Emmanuel me parle des nuits qu’il a passées à écouter les étranges histoires hantées de son conteur fétiche. A ma demande, il va chercher un exemplaire de “Le message des prophètes”, parce qu’il y a une petite photo sur la page d’introduction et je suis intriguée de savoir à quoi ressemble ce génie.
Sa voix, ses expressions rituelles, des cris de guerre couvrant souvent le track passant à l’antenne, et sa façon de rire, m’avaient laissé imaginer un personnage sensuel, massif, rapide et excentrique (cette nuit où je m’étais laissée emporter dans son délire, où je croyais voir un géant arpentant une lande crépusculaire aux bruyères serrées... ; cette autre nuit où il était devenu un phare au faisceau lumineux intermittent, au corps inébranlable battu par une mer furieuse, fracassant les vagues et éjaculant des jets d’écume...).
La petite photo restituait une impression de dureté presque agressive, et d’ascétisme mal vécu. En buvant du vin gris nous écoutions se dérouler cette voix et l’écœurement me gagnait, l’ogre aux bottes de sept lieues devenu soudain un falsificateur dissimulant sa bouche derrière barbe et moustache, un escamoteur d’évidence derrière des lunettes cerclées de noir, sous un grand chapeau.
Au moment de l’antenne libre, je descendais à la cabine téléphonique pour lui dire ma perplexité à son sujet : « J’aime pas ta gueule », cette phrase m’avait semblée assez percutante pour provoquer une réaction.
Je tentai une description de moi-même au téléphone ; l’asociale paumée qui se cache derrière des cheveux et sous des vêtements trop grands. Bataille : on était aussi moche l’un que l’autre. Au moment où je suis remontée chez Emmanuel Jean-Paul Bourre lisait ma lettre à l’antenne : ...