c'est toi maman ? t'es réveillée ?
Il y a cette anecdote donc j'aurais aimé faire une nouvelle ; à cette époque, j'avais cessé mon travail pour m’occuper de Maman, qui me donnait l'argent pour faire tourner la maison. Mes nattes battant mes épaules, je tremblais à tout moment d'entendre ses reproches, dont elle n’a jamais été avare avec moi. Par un clair après-midi d’octobre, elle me commande pour son dîner un rôti de porc aux pruneaux et un assortiment de fromages de chèvre. Après plusieurs semaines passées en réanimation, nourrie à la perfusion, puis de ces brouets fades et chiches que l’on vous sert dans les hôpitaux, elle entendait se reconstituer physiquement et imaginait volontiers pour son dîner des plats traditionnels de cuisine bourgeoise, comme les prisonniers des camps de concentration torturés de faim qui écrivaient sur des morceaux de papiers des bribes de recettes de cuisine qui revenaient à leur mémoire : « Faire mariner en julienne quatre filets de porc pendant vingt-quatre heures avec des échalotes hachées ; sel, poivre, épices, du thym ; du Cognac et du vin blanc... ». Ma pauvre maman ressemblait bien à une rescapée de ces camps.
Seulement, je ne pensais qu’à m’évader de la maison pour aller faire l’amour chez Emmanuel, et je n’arrivais pas à m’intéresser à la nourriture.
Avec son billet de deux cents francs en poche, j’avance sur le boulevard de la République ; je rencontre un rosier orangé sur le bout de trottoir de la Jardinerie, magasin de fleurs et plantes. J'échange quelques mots avec le rosier, on se plaît, je donne les sous à la vendeuse : cent soixante-quinze francs. Je promène mon rosier, mon nouvel ami, jusqu'au Monoprix où je comptais acheter les victuailles. Brutal retour à la réalité : je n’avais plus l'argent.
Je me souviens avoir flotté dans Saint-Cloud, auréolée des mes jolies roses orangées. Finalement, réfugiée à proximité de mon petit jardin, je posai le rosier sur la table de jardin de ma voisine et, planquée derrière un poteau sur le parking, j’attendais le déclin du soleil sans oser rentrer chez moi, sans oser battre des paupières, muette et prostrée.
J'ai perçu peu à peu des éclats de conversation : Christine se confondait en remerciements à l'intention de Guylaine, qui vivait alors au premier étage, juste au-dessus de chez Christine, qui avait sans doute gardé Martin et Etienne quelque après-midi pour dépanner Guylaine, laquelle niait en riant avoir quoi que ce soit à se reprocher au sujet de ce rosier.
En entendant ces deux jeunes femmes se congratuler et rire j'ai repris vie. J'ai marché jusqu'à elles, j'ai raconté mon errance. Christine m'a donné une boîte d'oeufs, des spaghettis et du parmesan râpé, afin que je ne rentre pas bredouille.
J'ai fait le dîner, j'ai dit à Maman que les rôtis de porc m'avaient semblé trop gras pour une convalescente.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9rapha%C3%A9lisme#Galerie
Beata Beatrix, 1864-1870
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1. cybel le 07-11-2008 à 18:43:24 (arc-en-ciel radio)
bon travail.