certificat de conformité obtenu le dimanche 06 juillet 2008


Automne 1992.

Je suis dans mon appartement de Saint Cloud, dans la grande pièce vide, assise à même le plancher, en lotus souple.

Sur la radio libre, une voix qui court comme des étincelles le long d’un câble électrique.

Visite d’un château hanté. La voix enjôleuse nous fait tous inviter à boire du vin de champagne avec les nobles hôtes de cette demeure particulièrement déconcertante de bizarreries, galeries secrètes et pans de murs escamotables. Séduite par les manières raffinées de ces fantômes courtois je m’enivre sans méfiance. Par l’intermédiaire d’un téléphone blanc à cadran, la voix d’étincelles guide mon discours et se souvient à ma place de ce que je voulais dire, parce que je ne suis pas sûre de vouloir en parler, il y a tant de monde et cette fête insolite me laisse muette et béate.

Ou alors la voix m’entraîne sous une voûte où résonne une chanson en espagnol : “Hijo de la Luna”. Un petit cheval me promène sur une autre route avec l’allégresse qui fait tinter les clochettes d’or tressées dans sa crinière.

Ensuite on continue à se parler. Quand la voix d’étincelles s’adresse à moi, je deviens invincible. Je suis la personne la plus importante et la plus intéressante au monde. Rien de mauvais ne peut m’arriver, sauf une chose : c’est qu’elle cesse de me parler. Alors, tout à coup, je ne suis plus personne. Je ne suis plus rien, je n’existe même plus à mes propres yeux. Je suis ruinée pour l’éternité.

C’est exactement ce qui vient de m’arriver. Je chante “d’où viens-tu, Gitan ?” et l’animateur-d’émission-de-radio-libre fait vibrer de sa voix souple une infinité de réminiscences, déroulant sur les instants qui passent un ruban de souvenirs et de broderies de nostalgie superposées, comme un géomètre qui mesurerait une époque. “Je viens de Bohème, affirmatif”. Le gitan passe par l’Italie et fait le tour du monde. Il vient d’un pays qui n’existe plus. Moi aussi je reviens de là-bas, pareil que Lui. On vient du même pays qui n’existe plus. C’est l’acide de nos vingt ans ? On se regarde, Lui et moi, interloqués de s’être trouvés si facilement. Mais on est au téléphone, toute la clique des calamiteux satellites de Radio Ici et Maintenant veut passer à l’antenne.

L’animateur-d’émission-de-radio-libre me salue : “Salut !”. Il me quitte : je suis anéantie. Je suis morte. Je n’ai jamais existé. Au moins j’aurai fait cette tentative.

 Emmanuel me console, je reprends souffle de vie à sa bouche, acidulée comme un bonbon au citron. 

 

 

<cite>photo roumagnac.net</cite>

 


 

 

 


 
 
 
 

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