certificat de conformité obtenu le jeudi 10 juillet 2008


On est romantique à dix-huit ans

 

 Je n'aurais pas eu à écrire des conneries pareilles si j'avais été plus conforme à l'image que Pierre se faisait de la Femme qu'il était né pour accompagner : Muse humaine, magnétique, énigmatique, sophistiquée et gracieuse ... Si j'avais été faite pour porter la fanfreluche avec assez de finesse et d'élégance pour lui donner ses lettres de noblesse...

 

Mais j’ai voulu que Bourre sache que je manquais de cette élémentaire subtilité féminine qui permet de contourner les épreuves crasseuses et en être exemptée.

J’ai voulu qu’il sache que je n’avais pu éviter, entre autres saloperies, de travailler dans un “établissement pour personnes âgées et dépendantes”; une expérience si pénible qu’il m’avait été impérieux d’en écrire un compte-rendu.

Je lui envoyais une version de ce texte, un peu élaguée, à peine remaniée, avec du caca partout car les personnes âgées et dépendantes font du caca partout, mais ce n’est pas cela qui est insupportable...

L’insupportable c’est de voir ces gens dépossédés de leur vie, et de se représenter fatalement parmi eux.

Pour Jean-Paul j’avais retrouvé la naissance des deux enfants de la légende immortelle, et maintenant je m’installais avec lui dans un mouroir, en insistant sur l’importance qu’ils nous mettent au même étage.

 Ma vénération pour la voix génératrice de toutes mes fabulations incluait désormais une prétention de possessivité qui pouvait s’avérer dangereuse. Les magiciens n’aiment pas qu’on les colle, ils ont besoin d’un espace secret pour protéger la subrepticité de leur Art

 

  <cite>stevero.centerblog.net</cite>

 

 

 Bourre encaisse le coup du mouroir comme une lettre à la poste. Comme toutes les autres lettres que je lui envoie avec la même régularité hebdomadaire que son passage à l’antenne.

Je m’abandonne à lui comme à un confesseur. Je m’adonne au culte Bourre comme à une ultime chance de survie. C’était moins un caprice qu’un réflexe, un processus d’instinct de conservation.

 

C’était un été d’attentisme obligé. J’étais comme encerclée d’eaux montantes, au centre d’une dune chaude et nue, mouvante.

Ma fille m’était revenue et le rythme de la vie était un peu changé.

Nous n’avions plus ces longues journées de silence, où seule la musique emplissait l’espace et où nous ne nous abstrayions de notre isolement que pour nous sourire, nous demander si tout allait bien,

 Emmanuel poussant le bois sur la table et Léo, toujours affairé, entrant, sortant, recevant ses amis. Andréane avait fait rupture avec sa vivacité inusable, ses questions imprévues, le menu récit ses anecdotes vécues, de ses rêves, ou de l’emploi qu’elle ferait de son argent si elle gagnait au loto.

Nous attendions le vingt-sept septembre, la date à laquelle les magistrats de la Cour d’Appel de Versailles décideraient si mes enfants étaient assez bien lotis avec moi, ou si au contraire il serait consigné sur un papier qu’ils devaient résider chez leur père, et dans ce cas Andréane ne pouvait être scolarisée. Une sorte de casse-tête administratif, une épreuve ineterminable.

J’assouvissais ma part de rêve en écrivant sur des feuilles de cahiers d’écolier récupérés des années scolaires précédentes. J’envoyais par la poste à mon amour virtuel tous les fantasmes que me dictait le désir violent qui m’obsédait, je décrivais toutes les exigences que réclamaient ma peau et mon ventre ; l’impudicité, l’audace de mes mots et de ce que je mendiais ne m’apparaissait pas, parce que j’étais lovée, invisible, sur la lisière d’une jungle impénétrable et magnifique et que le Tarzan qui y exerçait son règne me regardait avec bienveillance, sans me faire peur pour m’éloigner, et, non plus, sans me faire signe de l’approcher.

A mes textes manuscrits il répondait, au cours de ses passages à l’antenne. Au moment même où Paris offrait abri aux couples classiques des amants qui s’étreignent et s’embrassent et se pénètrent et épanouissent la chair de l’Autre, j’étais terrassée par ce bonheur bizarre, broyée corps et âme des mots qu’il disait à la radio ; je voulais croire qu’ils m’étaient adressés, mais je poussais le masochisme jusqu’à faire des vraies prières au Seigneur des chrétiens (c’est celui à qui je m’adresse habituellement, systématiquement pour ainsi dire, car c’est lui que je connais depuis toujours et je suis trop paresseuse pour essayer de savoir s’il en existe un qui soit mieux) afin qu’il ait en ligne une auditrice qui soit la plus belle fille du monde, la plus capable d’esprit et de plume, et la plus amoureuse, et qu’ils convolent en justes épousailles et que je retrouve mes tracasseries familières, en lonesome cowboy, dépouillée de cet ouragan d’espoir parasite

 Et guérie de ces plaques, aussi : par quelque mécanisme psycho-somatique, je voyais mes cuisses, mes bras et mon abdomen se couvrir de plaques rouges qui me démangeaient avec virulence. Plus que tout au monde j’avais besoin de la peau de cet homme contre ma peau. Je continuais à lui faire des lettres, pour calmer mes éruptions, et à les lui envoyer, parce que je commençais à deviner qu’il y avait un homme derrière le masque de sorcier...

 

Pour tout dire, les circonstances avec lesquelles je devais négocier nos lendemains étaient trop imprécises pour que je puisse organiser la suite de notre épopée : je désirais jusqu’au sang un homme tellement lointain, dont je n’étais même pas sûre qu’il existât vraiment, mais dont je guettait le moindre silence, le moindre souffle de respiration, l’oreille collée aux enceintes acoustiques de la hi-fi...

Mes démarches auprès du personnel administratif du collège où Andréane aurait dû faire sa rentrée des classes, et les entrevues bidons que m’avaient accordées quelques élus de mairie, pantins délégués aux affaires scolaires, étaient restées vaines. Il me fallait un papier officiel que je ne pourrais pas avoir avant un long mois, si dans le meilleur des cas le verdict de la Cour d’Appel au sujet de la « résidence habituelle des enfants » nous était favorable. Andréane ne montrait pas d’impatience ni de rancune envers moi, mais j’avais de la peine pour elle, qui comprenait que sa rentrée des classes était gâchée et qu’elle ne pourrait reprendre une vie scolaire normale qu’à partir de novembre

 

 

Il me sembla urgent d’essayer de communiquer avec cet homme, cette voix, cette énigme radiophonique, non pas pour avoir un conseil ou une solution, mais pour extraire de son âme un peu de cette mystérieuse essence qui est compassion, solidarité, amour sacré, et que nous retenons et laissons se dessécher en nous de crainte d’en manquer, alors qu’au contraire nous devrions cultiver cette substance sans relâche, jusqu’à disposer d’inépuisables réserves, jusqu’à en être prodigues...

Je n’imaginais pas qu’il puisse me refuser cette action de grâce. J’appelai chez lui.

Nous avons ouvert l’un pour l’autre une porte qui donnait sur des mandalas de réceptivité et de communion.

 Somptueux.

 <cite>forum.wiaderko.com</cite>

 

 


 
 
 
 

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