certificat de conformité obtenu le jeudi 10 juillet 2008


Je partais pour cette mission le cœur mort, comme si j’allais me livrer au bourreau, mais mon corps fonctionnait comme une belle mécanique. La voiture connaissait le chemin de la rue Violet, parce que j’avais eu un job dans le quartier en 1991. Le mouroir est à quelques blocks de la radio.

Il est environ vingt-deux heures, il fait nuit, j’écoute la cassette de Manu Chao en regardant Paris dérouler pour moi ses inépuisables merveilles, ses ponts qui brillent et ses saynètes de rues.

Voilà une activité que j’aime entre toutes : conduire dans Paris en écoutant de la musique et en regardant les gens marcher et vivre.

Ca fait comme un clip. Nous faisions souvent ça, “avant” : j’installais mes trois enfants dans la voiture, et nous allions tourner dans Paris, voir de tout près la Tour Eiffel, ou le vivier à écrevisses du tabac du boulevard Péreire, ou seulement les lumières des voitures sur le périphérique. On jouait à partir en vacances, les enfants se pelotonnaient dans leurs rêves et s’endormaient, confiants, la soufflerie du chauffage ronronnait aussi fort que la salle des chaudières d’un cargo de nuit.

Voilà le genre de grands voyageurs que nous étions.

 

 

 <cite>alger-roi.net</cite>

 Sur cette aventure le mot de code est "don't look back" : j’ai juste assez d’essence, pas une goutte de plus, et ne peux donc pas changer de cap en cours de route si le trac me prend.

Je veux mener rondement cette affaire, et puis rentrer chez moi pour me faire une bonne tasse de café, regarder les enfants partir au collège, et aller à l’hôpital de Saint-Cloud où j’ai rendez-vous à neuf heures.

 Quand je fais l’amour avec Emmanuel, mon régulier, il y a un truc qui saigne. Je voudrais le faire ôter. J’ai envie de m’étendre sur la table du gynéco, de mettre mes pieds dans les étriers et de sentir les doigts d’un homme entrer dans mon sexe... j’ai envie d’être prise en charge pendant quarante-huit heures par une équipe d’hospitaliers. J’ai envie d’être anesthésiée, d’être exemptée de vivre pendant une soixantaine de minutes. J’ai envie d’être abrutie de calmants et n’avoir à m’occuper de rien. J’ai envie que quelqu’un me demande si je veux du thé ou du café pour mon petit déjeuner.

 

Je trouve une place pour garer ma voiture juste en face de la porte du studio d’où émet la radio. C’est une grande baie vitrée qui fait tout un angle de rue. Je frappe sur le carreau blindé, à l’attention d’un ange tout de blanc vêtu qui monte la garde au fond d’un fauteuil.

 J’ai reconnu Didier de Plège, et cette apparition est d’autant plus émouvante pour moi que je crois voir Daevid Allen, leader du groupe Gong. se lever pour m’ouvrir la porte après un laps de temps d’une trentaine d’années, comme s’il n’avait rien eu d’autre à faire que d’attendre mon retour, assis sur son moëlleux fauteuil, un doux sourire sur les lèvres pour toute lumière ambiante.

Basculée sans douleur dans ce lointain passé resté si coutumier je danse à même le sol une chorégraphie improvisée, entre les plis de mon manteau et une araignée noire qui se réfugie dans les torsades du pull de Didier. Le chien Echo boitille jusqu’à moi et me renifle. Jean-Paul Bourre arrive et va dans l’antichambre contiguë à la régie, où il s’étire, dépose son blouson, des disques, divers trucs.

 J’enlève mes vêtements pour recevoir l’accolade, qu’il m’accorde sans me poser d’autres questions.

Quand il m’a bien serrée entre ses bras, il prend sa place devant le micro et n’en démordra pas jusqu’à sept heures le lendemain matin.

 J’ai eu le temps de faire l’amour avec Didier de Plège, deux ou trois fois, et de visiter un autre étage, où se trouve une chambre avec une couchette, tout le matériel nécessaire à préparer une tasse de thé, des pans de murs habillés d’étagères où sont rangés des vinyls d’époque, et une régie annexe, qui sera connectée en temps utile à la régie de l’étage supérieur.


Faire l’amour : voilà une autre activité qu’elle est bien. Didier de Plège fait l‘amour comme il fume une cigarette, avec élégance et en pensant à autre chose, en préparant la prochaine émission.. Comme il était désolé que je n’aie pu parler plus longtemps à son ami, il m’offre la chance d’une seconde approche, en qualité de standardiste, dès la prochaine émission de Jean-Paul, qui doit parler, noter les appels, rappeler les intervenants, passer les musiques, poser les questions, tout ça d’une seule main car de l’autre il fume de l’herbe, et ça fait vingt ans qu’il s’en tire très bien tout seul.

 

J’ai passé le reste du lever de l’aube avec Didier, qui semblait content d’avoir trouvé une suite plausible à cet épisode, content d’être en mesure de m’offrir de revoir Jean-Paul Bourre, qui s’était enfui dans son taxi sans un regard pour la bête à deux dos qui gisait sur le tapis de l’antichambre. Didier évolue curieusement dans un monde sans haine. et son plaisir semble être, non pas de coucher avec une fille mais de s’assurer qu’elle a été satisfaite, non pas de séparer les gens mais de faire en sorte qu’ils puissent se rencontrer.

Il me raccompagne à ma voiture.

Je dois être en train de rêver, je sais maintenant que la voix qui me faisait visiter ces mondes étranges émanait d’une carcasse bien terrienne, le jour s’est levé sur Paris et un Ange me sourit à travers le pare-brise. Je suis de standard la semaine prochaine.

 

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