la véritable histoire
de
pierre et janeth
Remerciements à tous les chroniqueurs, archivistes, mages, idiots du village et tailleurs de haies qui ont permis la reconstitution que nous espérons fidèle d’un point d’histoire que l’on ne sera pas fâché de voir enfin éclairci.
la naissance
là, là-même où se fondent les frontières de l’Amour et de la Folie, naquirent un jour, au même instant, deux enfants de la Légende Immortelle.
l’enfant mâle, qu’une roche de cendre et de métal avait maturé en son sein, avait gonflé son torse et fait voler en mille éclats la pierre qui l’avait contenu. il se nomma donc : Pierre.
Un fragment parmi ces mille suggérait une forme semblable à la sienne, et Pierre expira son premier souffle sur ce lambeau de matrice.
l’enfant femelle à son tour exhala un flot de cendres blanches et de fines poussières de métal.
Ils échangèrent un sourire étonné et s’allongèrent côte à côte, entremêlant leurs doigts pour que le vent ne puisse les éloigner l’un de l’autre.
Ils rêvèrent le temps que les nuages prirent pour se dissoudre et, lorsque le ciel fut totalement clair, ils comprirent qu’il leur fallait marcher, pour n’être pas désagrégés, ni refondus en un même bloc, car ils désiraient tous deux connaître le monde et le mystère de leur naissance.
Ils marchaient comme volent les cygnes sauvages.
Pierre sentait battre sur la face interne de ses cuisses une chaleur douce, plus douce que la soie la plus précieuse, plus chaude que le sable sous leurs pieds. C’était, sous son ventre, un membre d’un ton plus blanc que le reste de sa peau, marbré d’un chemin de sang bleu, et qui frôlait doucement à chaque pas deux fruits jumeaux couleur de cendre.
quittant des yeux l’horizon vers lequel il marchait, cherchant un écho à cette sensation suave dans laquelle il baignait tout entier, il interrompit leur route et, par une pression légère de la main sur celle de sa compagne, l’obligea à lui faire face.
Le bloc femelle à qui il avait insufflé la vie par son propre souffle, se tenait devant lui, tête basse, le visage enfoui dans les cheveux.
Au bas du ventre, rien n’était révélé qui puisse appeler les caresses et la bouche, comme cette branche vive enracinée au coeur, qu’il avait vu jaillir sur lui-même avec fierté et reconnaissance.
entre les jambes qu’il avait fait s’ouvrir, béait une sorte de blessure d’où coulait du sang et du lait.
« Janeth », murmura Pierre. (C’est le mot qui désigne une ouverture).
Ce fut le premier mot que Pierre prononça.
Pierre et Janeth se regardaient à présent.
Lui, mêlé de terreur, de dégoût, d’attendrissement et de mépris,
elle, interdite, exhalant cendres blanches et fines poussières de métal, le sang et le lait coulant de sa blessure.
Mais elle avait pu lever les yeux.
Elle attendait un sourire, ou un coup de pied, ou qu’il répare sa blessure en y faisant couler son membre nacré ......
De son ongle blanc il traça sur elle deux sillons en forme de croix, juste à l’endroit où son coeur palpite.
De ses dents il pratiqua un poinçon sur la lèvre extérieure, qu’avait gonflé un désir diffus, une douleur abyssale.
Pierre répéta à mi-voix : « Janeth, Janeth » et reprit son cours vers la fin de la frontière. Janeth saigna longtemps sur le sable doré
la préparation
Pierre a marché jusqu’au bout de la frontière.
La ligne s’arrête net. Il plonge.
Là on perd sa trace.
Il réapparaît quelquefois, seul ou au milieu de la foule.
Il tient au bout d’une laisse faite de fils de diamant tressés une jeune vierge docile et fascinée, sa sœur, ... sa fille peut-être.
Il sourit toujours.
Ses ongles sont d’une netteté parfaite, son dos est droit, ses jambes immenses.
On ne sait pas à quel détail le reconnaître, pourtant on sait toujours que c’est lui. « plus adorable tu meurs », c’est ça l’indice.
Ou bien, est-ce ce jeune animal qui l’accompagne qui attire vers lui tous les regards ?
Janeth n’est pas guérie de sa vilaine blessure.
Entre deux enfants, entre deux flots de sang, elle supplie les hommes de remplir son ventre douloureux du pénis qui lui manque.
Elle rit fort, se gave d’ail et de sauce pimentée, prend les arbres à témoin que sa vie est un leurre...
le baptême
Janeth gravit les marches en bois, les pieds nus dans ses sabots.
Le bon Pierre monte derrière elle, regarde bouger les plis de son manteau, ses cheveux, sa main rouge agrippant lourdement la rampe d’escalier, le sac en plastique qu’elle balance au bout de son autre main : trois livres de pain rassis et une bouteille de rhum.
Janeth ouvre grand ses yeux et ferme bien serré son coeur, si serré qu’il pourrait passer par le goulot d’une bouteille de chianti.
Toute sa vie convergeait si insidieusement vers cet instant qu’elle en est déjà absente, absoute, distante, dissoute.
Elle va aimer la brûlure de l’alcool dans sa bouche, le feu rafraîchissant le long du tuyau qui va à l’estomac. Elle boira en silence, paisiblement, désespérément, jusqu’à ce que Pierre soit redevenu pierre, comme au point originel.
On voit un chouette morceau de ciel de plomb par la lucarne, qu’elle fixe en enlevant toutes les pièces de vêtements dont elle n’a plus que faire.
Janeth garde sa tunique de velours noir pour faire l’amour. Elle n’aime pas que les hommes constatent des yeux que sa peau est distendue et sa chair molle. Et le noir rend plus seyant le triangle de poils dorés qui amodeste la grossière écorchure.
Pierre enlève ses bottes et ses chaussettes, pour un premier contact avec le plancher, la réalité. Il n’aime pas trop les visites médicales.
Il sourit encore, fait sourdre dans la pièce une musique un peu orientale, ôte ses vêtements et se couche contre moi. Janeth s’appelle moi quand elle a bu une bouteille de rhum. Car la malheureuse ne sait plus réellement qui elle est.
Le voyage se passe bien. « Ne me crois pas quand je te dirai que je t’aime, je le dis à tout le monde. Mais il faut que je le dise. Sinon j’aurai l’impression de voyager sans avoir acheté mon billet. » « Et tout ce pain sec, c’est pour quoi faire ? » répond le bon Pierre fort à propos. « C’est pour aller le jeter aux canards, tu sais, si on loupe l’accostage. »
Pierre hésite maintenant à confirmer l’hypothèse du pudding. Ses doigts brillent des bribes de diamant, emmêlés dans la laisse tressée au bout de laquelle son petit animal domestique gémit une plainte rituelle.
le beau poème de françois mauriac
Les cimes, de la mer imitaient le murmure.
L’orage qui rôdait à travers la ramure
éclaira d’un feu bref deux mondes confondus,
Deux pâles univers l’un dans l’autre perdus :
Atys et Sangaris, dont la blancheur humaine
L’espace d’un éclair, déconcerta ma haine.
Je tordis sur leurs corps mille bras furieux,
Mais l’âpre paradis où leurs corps m’avaient fui
- le plaisir !- les rendaient indifférents aux dieux
Et la foudre inutile embrasait de ses feux
Leurs jeunes flancs luisants de sueur et de pluie.
Alors je fis silence autour de ce bonheur.
Mes branches s’égouttaient sur la double torpeur,
Sur le double sommeil de cette chair souillée
D’où montait le parfum de la terre mouillée
l’épilogue
Par souci de bonne moralité, et par sympathie pour les moniteurs de troupes scoutes dont les journées sont déjà suffisamment pénibles, l’histoire et les conteurs ont retenu pour version finale la double pendaison des amants de Montmartre, et ont dressé la potence sur un décor de claire fontaine en une campagne géographiquement indéterminée.
Pierre vit toujours, en Europe, et voyage beaucoup.
Janeth a été placée dans une réserve outre-Atlantique où il est interdit d’allumer des feux et de nourrir les spécimens.
Le personnel de gardiennage rend compte d’un « état stationnaire ».
On ignore s’il a jamais cherché à la revoir
1. cybel le 15-11-2008 à 00:37:18 (arc-en-ciel radio)
oh comment elle est trop bien cette histoire