certificat de conformité obtenu le samedi 12 juillet 2008

 « Mercredi 12 décembre, vingt-trois heures, Jean-Paul Bourre avec vous de maintenant jusqu’à on verra bien. »

 

Voilà, ça démarre comme ça.

Cette nuit encore je me laisse mener, il va où il veut, il fait ce qu’il veut, il remonte le temps, il pulvérise tous les obstacles, il envoie balader les intervenants qui le dérangent dans son histoire. Cette nuit je ne veux rien entendre qui ne me soit pas directement adressé.

Mais il a déjà changé de quartier, je n’arrive pas à le suivre.

J’ai perdu sa trace.

Depuis la nouvelle planète qu’il a décidé d’explorer il me jette des cailloux, des mottes de terre, des jets de poussière : « Tiens, prends ça dans le pif : échantillons de planète ; à étudier sérieusement, ça t’occupera ;  et marche à l’ombre, je n’ai pas besoin de toi maintenant. Plus tard peut être... ».

 

Il va plus loin, il va rejoindre son clan de copains à sarbacane, avec qui il doit aller visiter la maison de Boucle d’or.

Au matin, l’émission terminée, je restai sur une impression d’inassouvissement insupportable...

 

Je sais que la vie ne coule que dans un sens, du passé vers le futur, je sais aussi que c’est un phénomène commun à nous tous, une loi universelle.

Mais ce que j’avais dans le fond de ma pauvre tête; c’était de revivre avec lui cette impression d’être entraînés ensemble dans un monde où nous étions irrésistiblement liés l’un à l’autre. Son intérêt pour ce que j’offrais semblait être tombé, alors que mon corps subissait encore son attraction. Fébrile, toute écorchée qu’il soit parti sans me dire des serments de tendresse et d’éternité, j’ai pris des feuilles de récupération de cahiers et j’ai écrit des folies

 

toi, toi mon amour atypique, mon amour primal, ou mon amour primate si tu veux... j’ai éjaculé cette flaque de vitriol pour t’empêcher de venir à moi, n’approches pas tu vas te brûler dans cette flaque d’acide c’est moi qui viendrais jusqu’à toi, je m’en fous que l’acide me brûle les jambes je viendrai à toi sur des moignons brûlés. Je me suis pétrie de vulgarité en rejoignant le groupe des femmes qui sont toutes seules au fond de leur lit bardées de bigoudis pour avoir des cheveux bouclés le lendemain. Toutes les passerelles que nous avions jetées l’un vers l’autre ont été désagrégées par mon égoïsme. Je n’y ai pas cru assez fort que j’étais cette femme unique que tu aimais et qui te portait dans son ventre... ça ne m’arrangeait pas de tomber enceinte maintenant, j’étais enceinte de Jean-Paul Bourre et je ne voulais pas mener le projet à son terme. Je ne voulais pas maturer cet homme enfant au prix de ma chair et de mon sang pour en accoucher dans la douleur et le regarder ensuite prendre de l’importance et vivre sa vie au détriment de la mienne, condamnée à subir son ingratitude, condamnée à entendre à la radio ta voix qui adresserait des poèmes et des serments à d’autres filles, qui ne seraient pas moi. Je voulais te tuer dans mon ventre et t’y laisser pourrir, pour que tu gangrènes mon sang et me fasse devenir une charogne, pour que l’on nous enterre ensemble, parce que je ne veux te partager avec personne. Je lui avouais que je n’étais qu’une usine à merde, et que, même lorsque j’étais sur le pot, je ne pouvais m’arrêter de penser à lui, et qu’il me prenait dans ses bras, et qu’il me rassasiait de caresses.

Je lui écrivais que je le ferais naître dans mon nouveau pays.

Je lui racontais les nuits que je passe avec Léo à étudier toutes les pages de l’Atlas pour trouver une destination.

Mille milliards de tonnerre de bachibouzouks, cinq continents ! (sans compter l’Arctique, qui est un océan glacial, ni l’Antarctide qui est un continent mais ça compte pas parce qu’on ne peut pas y élever de chèvres alors je ne pense pas que j’aille jamais m’installer là-bas).

Les critères de sélection pour la plausibilité d’une destination sont le climat : on veut ne plus jamais avoir froid, ne pas avoir à acheter de vêtements, ni de chaussures... La mentalité de la population aussi, leur religion : on voudrait éviter d’avoir à négocier avec des intégristes, on tendrait plutôt vers un trip zen, un climat non-violent.

Le coût de la vie est pris en considération aussi, nous évaluons nos possibilités de vivre comme des princes avec notre pécule d’argent européen. Australie, Cap Verde, Mayotte... J’écris des tas de noms de pays qui le feront rêver, pour qu’il ait envie de partir avec moi, déjà fini, encore à naître, mon enfant, mon frère. Je demandai encore son aide : je t’ai dans le ventre et je ne sais pas gérer cette situation, je manque d’expérience : baises-moi, va-t’en, viens m’étrangler, dis-moi des méchancetés définitives dans la radio, vitrioles-moi la gueule, branches-toi avec Bérénice, changes de métier... je te supplie de trouver une idée.

Pour aciduler ce drame de la nuit je signai d’un cœur percé d’une flèche, à la manière des écolières qui se passent des mots pendant la classe pour prévenir les copines qui elles ont choisi comme amoureux de récré.

Je voulais que cette lettre arrive encore brûlante dans ses mains. Je ne voulais pas la laisser mourir d’ennui dans la boîte aux lettres de Saint-Cloud, unique levée à quinze heures ! Je montais dans un train et bientôt j’étais aux Halles, il était à peine huit heures du matin et la Fontaine des Innocents était toute propre et bleutée.

Je jetai ma lettre à la grand’poste de l’Hôtel de Ville, et je marchai jusqu’à chez Emmanuel pour qu’il puisse voir dans quel état il m’avait mis, son pote Bourre...

Emmanuel, cher Manu si gentil, incommensurable de bonté pour cette pauvre fille échevelée, en larmes, ivre de n’avoir pas dormi, qui vient le tirer de son bon sommeil à huit heures du matin, se déshabille et demande de faire l’amour. Si un homme osait se conduire ainsi avec une maîtresse, j’imagine mal la suite de leurs relations. Mais Emmanuel, si doux, si indulgent pour moi, me fait l’amour en souriant tendrement. Après, on regarde la télé marocaine :  une chance sur trois-cent-soixante-cinq de voir passer le rallye Paris-Dakar. Mais la compétition n’est pas encore à l’ordre du jour, et nous écoutons un prieur moduler plaintivement des sourates du Coran qui se dessinent sur l’écran d’une écriture serpentine.

 

 

  <cite>xavier.hubaut.info</cite>

 

 


 

1. aurore  le 12-07-2008 à 11:47:00  (arc-en-ciel radio)

tu écris bien, je te l'ai déjà dit je sais... c'est une grande histoire d'amour, celle qui nous prend aux tripes.. tu es courageuse, volontaire, et un peu beaucoup irraisonnable, un peu comme moi ! gros bisous, où que tu sois, une petie "aurore" pense à toi ! et il où ce Bourre maintenant ?...
t'as fait exprès d'écrire couleur papier ? mais je devine tout, lol !

   They're gone
 
 
 
 
 

Ajouter un commentaire

notes de bas de page
indications utiles
didascalies et phylactères
notes de la rédaction
Pseudo : Réserve ton pseudo ici
Email :
Site :
Commentaire :
 
 
 
Rappel article