certificat de conformité obtenu le samedi 12 juillet 2008

 

finale rush 


J’ai laissé plusieurs annonces sur la messagerie vocale de Marc-Louis.

J’ai dit mon nom, ma taille en hauteur : un mètre soixante-six. C’est une information qu’il m’est toujours plaisant de dévoiler car c’est pareil que Marylin Monroe. J’ai dit que j’avais les cheveux longs et que je portais un manteau noir.

Un manteau noir : j’ai éclaté de rire parce que j’imaginais que Marc-Louis pouvait interpréter, avec un peu de distorsion sonore, “manteau noir” en “entonnoir”. Alors j’ajoutai : j’aurai un entonnoir sur la tête.

Seulement, je n’avais pas dit où je promènerais mon entonnoir ce jour-là : je rappelai la messagerie vocale pour préciser : Fnoc Forum, devant la pile de Tarzans. Quinze heures, je vous attendrai une demi-heure, jusqu’à quinze heures trente.

Cette fois, j’avais oublié d’attendre à la fin du message, et je pensais qu’il n’avais pas été enregistré. Je recommençai, en omettant de préciser l’heure cette fois-ci.

Je recommençai. Je suis mal à l’aise avec cet instrument “téléphone”. Est-ce que j’avais donné une date ? Je recommençai.

C’était bien d’être à la Fnoc-Forum et de lire, au garde-à-vous, les toutes premières pages du livre de Jean-Paul : il fait une description de ce qu’il voit de lui-même, tout nu devant son miroir. La formule traditionnelle “portrait sans complaisance” est franchement très euphémique en cette occurrence.

J’étais secouée de contractions équivoques, comme si j’avais été une chèvre qui trébuche contre une clôture électrifiée. Ce bonhomme Bourre a une façon de se livrer à autrui qui relève de la plus totale ingénuité, à moins que ce ne soit une forme aiguë de schizophrénie, et si je devais m’attarder sur la seconde hypothèse, ce serait afin de mieux revenir considérer la première. JPB devrait-il rester pour moi un roman policier dont il manque l’avant-dernier chapitre, je saurai me contenter du peu.

Je m’en fous,

je vais m’en aller, le plus loin possible, pour ne plus jamais me souvenir qu’il existe. Ah ! Voilà mon nouveau papa : cette fois, il porte de longs cheveux bouclés retenus en catogan.

Il me sourit, s’éloigne, s’agite, il cherche quelque chose... un livre ? Il y en a plein partout, je lui désigne un présentoir des occasions Fnoc. Ca ne l’intéresse pas.

Il m’entraîne dans le stand des rêves, de l’ésotérisme, prétextant une crise de claustrophobie. On ne veut pas se perdre déjà, mais l’on ne sait que trop bien qu’on est déjà perdu l’un pour l’autre, alors on regarde les gens, les somptueux ouvrages trop chers pour moi, trop chers pour lui, et pourtant c’est lui-même qui les a écrits, c’est dingue ça ! et les vendeurs marmonnent en remettant les bouquins à leur bonne place.

Voilà, tout va bien, rien n’est changé, on se parle, on prend des escaliers roulants mécaniques, on s’assied sur un banc, je fais un strip-tease de saison (c’est encore l’hiver, il m’arrête avant que je n’attrape la mort, c’est gentil) on va boire du café, la rue est bourrée d’espions qui nous espionnent mais rien ne nous empêchera de se parler du bon vieux temps, Truffe, Jackson, Bibi, Fifi, Florence, Sophie, on s’échange des poèmes, on se fait des bisoux sur la bouche, comme c’était la mode à Enghien “dans les années soixante-dix”, comme dirait Bourre, qui est notre Grand Géomètre du Temps, tous spots confondus.

Marc-Louis a la nostalgie paisible, détachée. Quant à moi, je n’ai pas la nostalgie : ma vie trop difficile, le mépris, la malveillance, la cruauté des autres qui ne cherchaient pas à me connaître, ne me laissaient pas le temps d’expliquer que ma différence de comportement, un léger handicap psychomoteur, une latéralisation gauche-droite qui n’a pas pu trouver de conclusion, et un traumatisme psychique d’adolescence qui m’avait enfermé dans un processus de repli proche de l’autisme, ne présentaient pas pour eux un danger sérieux. Pourquoi, de quoi serais-je nostalgique ?

Chaque jour passé est une bonne chose de faite sur mon existence accomplie comme une corvée ; et je m’applique, en bonne fille, à ne déranger personne, à rendre une copie impeccable. La vie est belle... trop belle pour moi !

C’est trop compliqué surtout : voilà mon grand aveu. Qui voudrait jouer à un jeu dont il ne peut assimiler les règles basiques ? Qui voudrait faire partie d’une équipe s’il passe tous les matches sur le banc des remplaçants ? Qui voudrait être le Fou sur la Colline, si jours et nuits ne sont que terreur de voir surgir les hommes en blouses blanches, qui viendront lui passer la camisole et lui injecter de fortes doses de neuroleptiques ? Moi je dis c’est pas du jeu. “C’est pas du juste”, comme disent les gamins maintenant.

Mais ça revient au même. Je me contente de faire mon rouleau, bon an mal an, et Bertrand, Emmanuel, Tarzan, et cha-ka-ya Bourre, la maladie d’amour, c’était du pipo, mais j’ai aimé ces mille fois trente secondes où je m’accroche au corps d’un homme pour tomber avec lui dans le vide, et pendant lesquelles je ne vois plus rien, plus rien que la magie de vivre, plus rien que la fusion du Ciel et de l’enfer, où mon corps transfiguré se livre à l’ennemi : l’homme, pour connaître le goût évanescent de la plus délicieuse des victoires.

Marc semble heureux d’être avec moi. Il fait jouer ses lèvres en petites grimaces, comme s’il venait de retrouver dans un grenier une vieille panoplie inutile de sourires et de mimiques. Il me tend son permis de conduire, comme si je l’avais surpris en excès de vitesse. Mais, nous sommes gentiment stationnés l’un en face de l’autre, et je ne suis pas de la maréchaussée... alors ?

Il ne voulait que me faire constater qu’il était bien ce qu’il avait annoncé tout d’abord : né sous le signe du Serpent, dans le zodiaque chinois. Gagné, Marc-Louis, c’est mon signe chinois à moi aussi. On est frères. On se sourit, on est désormais des complices ; mine de rien ça nous donne beaucoup d’assurance face au reste du monde, face à ceux qui ont eu la sacrée déveine de ne pas naître sous le signe du Serpent : sagesse et prudence.

On se raccroche à cette connerie, à ce hasard. On est deux crétins fauchés, épanouis et complices, en pleine dérive affective, sentimentale, existentialiste, et, peut être aussi un peu “alimentaire”, mon cher Watson, nés sous le signe du Serpent tous les deux. Une authentique chaleur humaine scelle nos retrouvailles.

 

Marc me présente maintenant des feuillets de papier format A4 où il a fait imprimer ses projets, ses espoirs, ses décalages, ses mouvances optiques, ses dégoûts du monde, ses emplois du temps à la recherche du temps perdu. Ouh là ! Y’en a du monde ! Un carton d’invitation pour un vernissage chez la sorcière de l’Odésie. Bien sûr que j’irai avec toi. Avec vous. On est des putains d’aristocrates, Marc-Louis et moi. On ne va certes pas donner dans le tutoiement facile, qui familiarise et donc engendre le mépris.

Bien sûr que je vous accompagnerai aussi à la séance de dédicace de Jean-Paul Bourre, pour son essai sur Gérard de Nerval. Samedi, très bien, samedi qui vient, non, je n’avais rien de prévu pour cette soirée de samedi qui vient...

Bourre. Jean-Paul Bourre. Est-ce que c’est le même que le mien son Jean-Paul Bourre ? Est-ce que je vais me trouver, samedi qui vient, dans une pièce où il se trouve aussi ?

Est-ce que je vais approcher cet homme à moins de deux mètres, est-ce que je vais le voir en relief, en couleur, est-ce que j’aurai une preuve qu’il existe en vrai ? J’ai acheté un appareil photo jetable pour tirer le portrait de Marc-Louis qui a approximativement la même bobine que mon daron, là aussi il faut matérialiser une espèce de preuve.

Est-ce que je vais pouvoir toucher Bourre mon amour d’assez près pour qu’il sache que j’existe ? Ça vaut le coup...

Ce soir c’est vendredi. Vendredi premier mars 2002.

Demain c’est samedi qui vient, le samedi où je vais peut être voir JPB en écrivain confirmé qui dédicace ses livres rue Villiers de l’Isle Adam, près du cimetière du Père-Lachaise... En privé, s’il vous plaît, sur un coin de table, avec un mot bien senti pour chacun.

Alors moi, je vais tirer mon petit livre en une vingtaine d’exemplaires, et j’en remettrai une copie à chaque personne qui sera dans la pièce où nous allons nous frôler. Y a-t-il un éditeur parmi nous ? Je vais distribuer mon petit livre, Bourre, plagiaire, à tous les gens ici présent qui t’admirent et qui ne savent pas que tu me dois la vie.

Je veux que tous lisent mon livre, pour qu’ils sachent que je te dois la vie. Et pour qu’ils sachent comment c’est arrivé.

On se doit mutuellement la vie,et nos vies ne valent rien séparément.

Je ne veux rien avoir de commun avec toi, plagiaire, ensorceleur, sorcier, méchant papa, dégueulasse déontologique, magicien, écorcheur, pygmalion de bazar, bourreau. Salaud.

Salaud...Voilà j’ai pu le dire. L’écrire.

Salaud. Bourre égale salaud et je t’aime.

 

Bon, donc, peut être à samedi qui vient,Marc. Marc-Louis, il ne faut pas le gâcher notre samedi qui vient. Il n’en viendra pas un autre comme celui-là.

Samedi quinze heures sur la tombe de Jimi Morrison, ça te semble valable comme plan ? Et on a peut être une chance de voir Higelin : je sais qu'il va souvent jouer à la pétanque, le samedi après-midi, au cimetière du Père Lachaise. 

 

fin de la première époque

 <cite>oceko.info</cite>

fin de lars 2002 

 


 
 
 
 

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