certificat de conformité obtenu le dimanche 13 juillet 2008

cash 04 lettre à jp fourcade et à ph. manoeuvre

 

A Monsieur Jean-Pierre Fourcade, Président de la Commission des Affaires Sociales/Sénat / Palais du Luxembourg  75291 Paris Cedex 06.   le 20 mai 1996Monsieur le Président,Comme j’étais en urgence d’attribution d'un logement à loyer modéré dans Paris (où j’ai des attaches affectives et de pragmatiques obligations), vous avez bien voulu attirer l’attention de Monsieur le Maire de Paris sur ma situation particulière, -qui n’a d’ailleurs de particulier que la très ordinaire particularité de m’être particulière, ce qui n’est, tout bien considéré, pas tellement particulier, puisque chacun d’entre nous, l’est (particulier).Je tiens donc à vous signifier par ce courrier ma reconnaissance pour votre intervention auprès de ce dernier, laquelle a permis que nous n’échouions pas directement à Easternhouse (Ecosse), ce qui eût eu entre autres conséquences de gâter fatalement et irréversiblement mon anglais châtié (j’ai de très sérieuses références) et l’idée que je me fais des usages, ni à Harlem (New York, N.Y.), où notre couleur de peau nous aurait fait paraître plutôt chelous.Tout est bien qui finit bien, donc. J’ai enfin le bonheur d’avoir enfin la permission d’aller enfin déposer mon grabat et mon samovar dans le ghetto de la Fontaine à Mulard, Paris 13ème, à un coup d’aile de mon travail. à mes heures chômées, bon an mal an, spectacle permanent de la foule bigarrée se frayant un chemin, la baguette sous le bras, entre jeux de marelle et carcasses de mobylettes fraîchement vandalisées. J’économise dès à présent pour l’achat d’un camescope, pour le jour du jumelage où nous aurons peut-être la chance de voir passer le Prince de Galles (flanqué de Mère Térésa ?). A mes vifs remerciements pour l’aide dont vous avez bien voulu nous favoriser, s’ajoutent ceux de mes enfants, enthousiastes de leur résidence future, pour la proximité du Parc Montsouris (on garde d’ores et déjà le pain rassis pour les cygnes), et celle du Stade Charléty. Surtout mes garçons. Ma fille, que le sport intéresse moins, voudrait être décoratrice. Elle a déjà pour idée de faire remplacer les carreaux cassés. Les enfants sont d’incorrigibles rêveurs.(N.B. L’allusion au Prince Charles est en référence à l’actualité de ce mois de mai 1996, où il avait fait une solennelle visite au ghetto de Easterhouse, Ecosse. C’était pas mal gratiné ça aussi). + Je choisis René, monumental serial sculpteur, pour lecteur de mes prochaines lettres non-revendicatives. La date de notre départ pour les Antilles était proche et je voulais garder une connection de tendresse avec lui, un souvenir de cette époque où j’avais, en compagnie de Marc-Louys, traîné ma misère dans les espaces artisticulturels parisiens.Saint Cloud 11 avril 2002René...Je vous remercie d’avoir pris le temps de lire mon petit essai, qui n’est pas un hommage à Jean-Paul Bourre. Car, tout bien considéré, notre JPB est un insalubre, au même titre que ces pêcheurs qui jettent à la mer des filets démesurés, aux mailles étroites, et ramènent sans discernement gros et menu fretin, gardant pour leur profit et rentabilité tout ce qui est immédiatement consommable et négociable, laissant crever pour rien et “for no one” tout ce qui ne l’est pas. Et ça, mon cher, c’est pas de respect. Bourre n’a pas de respect.Il est simplement source d’inspiration pour des caves comme moi, pour ces êtres asphyxiés depuis toujours, depuis si longtemps qu’ils n’auraient jamais oser espérer avoir droit à de l’air normal. Qui ne croient même plus que ça existe l’air normal. Et qui peut-être n’ont pas 100% tort, parce que notre monde commence à être vraiment bien pollué. C’est ça le phénomène Bourre : il se gave d’air pollué, et ensuite il se met un casque stéréo sur les oreilles et il dit dans un micro : “bon sang, mais on n’en meurt pas puisque je ne suis toujours pas mort ! Respirez avec moi, one two three four...”, et il nous passe à la radio des vieux rock and roll en vinyl qui font scrouitch tout du long, et on respire avec lui, un-deux-trois-quatre, c'est pas autre chose que ça la vie, il fait se relever de leur lit des filles à moitié mortes, elles descendent à la cabine téléphonique, en pyjama, pour lui dire “ah que merci d’exister”. C’est pour ça qu’on lui en veut tous, à Jean-Paul Bourre, c’est parce qu’il est tellement puant qu’auprès de lui on n’a plus peur de puer aussi vivace. Est-ce que j’ai juste raison ou est-ce que je suis encore amoureuse ?Personne, lisant ce petit livre, ne remarque Emmanuel qui s’ennuie dans une partie jouée d’avance et me fait avancer en pion sacrifié pour donner à l’architecture de son étude soigneuse l’apparence d’un coup improvisé.Personne ne remarque les pages où je raconte qu’ils m’ont collé trois mois de prison avec sursis assortis de deux ans de mise à l’épreuve, tout le monde s’en fout que j’essaie par tous les moyens de sauver ma peau, de ne pas me laisser clouer dans cette zone de zonards où il n’y a même pas de vaches, même pas de chevaux, même pas d’abeilles autour des pots de confiture, même pas de cheminée. Même pas d’amour, mais ça, c’était l'option soumise à condition.Toi seul tu viendrais avec tout un arsenal d’outils à couper, à scier, à faire écrouler les murs de la prison où ils ont idée de me mettre (pour être restée avec ma fille pendant le temps qu’elle a eu un bras dans le plâtre ...) et j’imaginais de ne pas gaspiller l’occasion de t’avoir si près de moi, et tandis que tu fais fondre les méchants barreaux je colle ma peau à la tienne, je me laisse remanier du coeur au ventre par tes mains de soudeur à l’arc, je me laisse écraser de ta masse informe en regardant comme un pur mirage tes yeux flous, absents, tes yeux qui se posent sur mes yeux comme amusés du tournoiement du monde, comme bleuis par tant d’invraisemblance, comme nettoyés de l’obligatoire pollution de l’air, comme exemptés des contemplations pseudo-divines, comme délivrés des bienséances pseudo-humaines. C’était ça mon nouveau caprice pour échapper à la cabine téléphonique en pyjama : me faire baiser sans questionnaire préalable, sans larmes, sans ambiguïté, à ta seule convenance pratique, me laisser visser sur un support franchement inadéquat, pour qu’il ne soit plus jamais question de rien d’autre. Un clouage totalement définitif, étiqueté en euros au coin près de la signature. Me faire enterrer dans ton troisième sous-sol, dans le plus grand secret des pierres moisissantes soudain séchées par quelques spots de lumière halogène, face au Christ qui désaimante, toute désaimantée des antérieures perturbations telluriques, toute désorchestrée de toute volonté qui ne soit pas la tienne. Je veux t’aimer et tu ne m’y invites pas, je suis guérie de vouloir aimer. Je veux jouir et tu ne m’y invites pas, ma chair est guérie de vouloir connaître encore le plaisir, ma chair est froide et malléable, tu m’entortilles de ficelle et tu me visses sur un panneau de bois. Tu fais jaillir sur moi les jets d’étincelles, bleues et or, criardes, de l’inconfortable vérité : “tes yeux sont brûlés maintenant”. Mes yeux sont brûlés d’annonciations.Je te demande les brûlures ultimes et irréversibles. Tu veux tatouer sur moi tes initiales, et j’ai déjà tous les alphabets. Il n’y a plus de place. Et tu trouves encore sur moi des places vierges. Je recommence à t’aimer. Sur toi il n’y a plus de place, et j’en cherche pourtant, je défonce au burin le sous-sol de sable, et c’est ton coeur qui m’apparaît, ton coeur structuré en alvéoles d’où dégoulinent le sang, l’étain, le feu, la gouache, l’huile, l’encens, la myrrhe, et toutes les odeurs où je colle mes lèvres, dans un primal réflexe de succion.Je voulais distribuer mon petit livre de telle sorte que toute la bonne société parisienne aurait eu les yeux tournés sur moi avec sympathie et aurait témoigné en ma faveur. Voici la clameur qu’exhale pour moi tout l’underground de Paris, la clameur qui m’accompagne et m’auréole, me protège comme un champ de force magnétique : “Ne la mettez pas en prison ; elle est inoffensive ;  vous voyez bien que c’est une artiste, elle est des nôtres, laissez là donc tranquille”. J’ai effectivement distribué des exemplaires de mon manuscrit. Dans un premier temps, intimidée de voir mes fantasmes étalés en si peu de mots, jalouse de l’homme à qui j’allais rendre la vie, parano de l’usage qui pourrait être fait à mon insu de mon offrande malhabile, je distribuais à ceux d’entre les copains de confiance qui ont des parents branchés (et pas les deux pieds dans le même sabot, s’il vous plaît) avec l’idée que l’une des copies pouvait circuler jusqu’à être retenue pour être éditée. C’était un peu comme jouer au loto ...Un soir que j’étais allée aux nouvelles chez Annie et Michel, j’ai eu grand dépit de voir mon oeuvre de septante pages mise à assagir parmi la porcelaine et la cristallerie. J’ai repris mon manuscrit et l’ai envoyé à Philippe Manoeuvre, assorti d’une notice explicative :Saint Cloud 8 février 2002Cher Monsieur Philippe Manoeuvre,Ce jeudi soir je vous ai entendu exprimer à la radio quelques mots d’éloges et de tristesse pour la mort de votre amie qui était d.j. de talent. Je me joins d’intention à tous ceux à qui elle manquera et je veux leur dire ma sympathie. Un nombre insensé de filles jolies et qui bougent bien dévissent leur billard avant la quarantaine. Moi j’aurai quarante-neuf ans au milieu de l’été, et les deux loosers et trois has-beens que vous croiserez peut être à mes funérailles pourront témoigner que je n’étais pas bonne à grand-chose de mon vivant, ni même décorative, et que, comme Brigitte Fontaine,  “... je n’ai jamais su passer l’aspirateur”.Bon, voilà : j’ai écrit ce petit récit, et je vous demande de bien vouloir le faire éditer ;  je ne connais personne à qui demander de le faire, j’ai distribué à quelques voisins cinq exemplaires qui vont dormir dans le buffet en attendant que Gallimard vienne dîner à la maison. J’ai pensé au plan Bourre (Jean-Paul Bourre), que vous avez rencontré il n’y a guère, qui est écrivain et qui aurait peut être des pistons. Son téléphone est xx.xx.xx.xx.xx à la radio 95.2, et xx.xx.xx.xx. c’est son perso. Moi je n’ose pas lui demander (il est assez speed, et bourru). Vous-même vous avez écrit un livre. Aidez-moi à faire un peu de maille avec mon histoire qui va vous faire rigoler et vous émouvoir, il y a même un paragraphe qui vous fera bander. Ensuite on fera un film et on passera à la radio. Whoo-hey ! Ca change tout pour mes funérailles, il va y avoir du peuple ! Moi aussi j’ai un petit téléphone, mais pas de couverture réseau. Laissez un texto de préférence. Merci beaucoup Monsieur Manoeuvre, et bonne lecture (c’est torché en 90 minutes environ).Lakma de Kermal Manoeuvre a envoyé illico l’exemplaire à Jean-Paul Bourre. Cherchez l’erreur. Je n’avais plus rien à perdre et dans toutes les soirées littéraires où Marc-Louis Questin me conviait à montrer mon cul je faisais un lâcher de manuscrits sans prendre d’adresses. 

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