à Monsieur Jean-Claude Guillebaud, Ecrivain, Voyageur et Familier de quelques éditeurs charismatiques
Saint Cloud, 11 septembre 2002
Monsieur,
Hier dix septembre 2002 dans le créneau horaire 16/17 heures j’ai fait le voyage depuis le Parc des Buttes Chaumont jusqu’à Saint-Cloud, via le Bois de Boulogne qui rutilait du bon soleil de septembre, et je vous entendais évoquer quelques hasards de votre parcours.
Peut être une rediffusion d’une émission ancienne ?
Avez-vous depuis lors changé beaucoup d’état d’âme ?
Je veux parler à l’homme qui échangerait toutes les îles de l’Océanie contre un hectare en Charente...
Ou alors, à l’homme qui descend le fleuve à califourchon sur un tronc d’arbre, et qui, à la nuit qui tombe, l’évide en pirogue pour s’y étendre et prendre un peu de repos.
Je sais que ce n’est pas ce que vous avez dit, j’imagine seulement qu’en temps de guerre on utilise des objets à ce à quoi ils n’étaient pas originellement ou logiquement destinés.
Et aussi que dans l’urgence d’une situation on peut faire n’importe quoi pour sauver sa peau. J’imagine... Je ne connais des guerres que ce que vous vous êtes mis en devoir de raconter, “vous” étant le terme générique pour tous ceux (donc vous inclus) qui ont touché de tout près le feu et le sang, les larmes et les hurlements de douleur ou de désespoir, la mort, la maison écroulée, les longues colonnes humaines de fuyards en exode, avec leur nouveau-né sur le ventre et leur matelas sur le dos.
Mon histoire à moi elle pisse pas très loin.
Il y a juste ce fragment qui s’est détaché de moi, des morceaux de papier format A4 numérotés de 2 à variable, et je m’étais mis en tête d’en faire un vrai livre, que les gens achèteraient pour lire dans le train entre le bureau et la maison.
Pas tellement pour qu’on parle de moi, mais plutôt pour combler mon déficit bancaire (postal, mon établissement bancaire c’est “La Poste” car je suis de tendance plutôt traditionnelle, mais ça revient complètement au même...) et mettre une nouvelle Toner Cartridge dans mon imprimante, car je prépare la suite de cette histoire “arc-en-ciel radio” : “tropical radeau”.
C’est un récit poétique par lequel une fille, meurtrie jusqu’à l’hébétude, se rachète en cultivant avec passion les humeurs rares des quatre saisons, et restitue en assemblages de mots tous les parfums enfouis sous les profondeurs de la terre en ce pays qui n’existe pas (98% de la production mondiale de perles de pluie).
C’est à l’ami des éditeurs de livres que je confie ce manuscrit, pour étude et éventuels encouragements.
Mon roman étant “très atypique”, il convient de cibler très précisément... et peut être aurez-vous une piste. Moi je suis déjà perdue, voici quelques points de repères erronés :
L’Amour est un voyage improvisé.
L’Amour est le voyage des pauvres.
L’Amour c’est un métier, c’est quoi le taux de chômage en France déjà ?
L’Amour est une guerre sans victoire.
L’Amour est une valeur fluctuante sur le marché boursier.
L’Amour est un Monument-aux-Morts-Pour-Rien qui fait office de borne de rencontre dans la Salle des Pas Perdus...
Je m’oblige à ces précisions pour me sentir moins bête, face à vous, de n’avoir été nulle part et de n’avoir à raconter que ce pauvre voyage phantasmagorique, si inconsistant, sans surprise.J
e vous remercie d’avoir prêté quelque attention à cette lettre, et je vous prie de croire à mes salutations attentives, auxquelles je m’applique comme pour une révérence.
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