certificat de conformité obtenu le dimanche 13 juillet 2008

cash 07 rené, y'a une lettre pour toi !

 Lundi 22 avril 2002Objet : René, y’a une lettre pour toi.Flip intégral ce matin. J’ai dormi dans la chambre de Léo ; sommeil lourd par absorption d’une dose anarchique de pilules de polaramine ;  j’ai allumé la petite télé au pied de son lit, pour entendre les commentaires sur le premier tour des élections présidentielles.A Saint-Cloud, fief du parti Lepeniste, il y a eu fête tard dans la nuit si j’ai bien entendu. Moi je dormais, j’ai loupé une occasion de danser en buvant du champagne et sans craindre que les voisins ne frappent sur les murs pour tapage nocturne.Hier je suis allée voter ;  j’adore aller voter depuis que je vis à Saint-Cloud. Mon bureau de vote est dans l’école maternelle. On passe par la cour de récréation, où il y a une petite cabane en bois (abri de jardin) et des agrès sur un tapis vert et moelleux sous les pieds, imitant un gazon serré. Un préau clair et convivial, désert d’électeurs où les acharnés bénévoles ont disposé les accessoires: une longue planche sur tréteaux où prendre les bulletins et les enveloppes, isoloirs, une petite table derrière laquelle une dame se dévisse le cou, une autre grande table où trône l’urne en plexiglas, et des gens qui te demandent en grande pompe ta carte d’identité, annoncent des numéros, te présentent enfin un grand registre où apposer solennellement ta signature. Very big deal, comme disait le jeune Holden Caufield dans “the Catcher in the Rye” à chaque fois qu’il se trouvait dans ce type de situation dérisoirement théâtrale.Je pensais voter pour Robert Hue, parce qu’il va chaque matin faire un jogging au bois de Vincennes avec son chien boxer. Comme moi aussi j’ai un chien boxer, ça me semblait un lien valable. Finalement j’ai mis la fiche de Noël Mamère dans l’enveloppe. Je l’ai vu scannérisé aux Guignols de l’infos sur Canal+ : il présente la particularité d’ajouter un cercle à chaque année passée, de sorte qu’en coupe digitale (ou sagittale ?) on peut lire son âge, comme sur les troncs d’arbre. Ça m’a donné envie d’en savoir plus.Chaque nuit je me bats contre les moustiques. Dans la journée je m’arrache la peau et je lutte contre les moucherons qui viennent s’agglutiner sur les plaies. C’est ça, les Antilles. Nous n’y serons que dans une semaine mais je répète déjà mon scénario. Pendant quatre ans c’est tout ce que j’aurai à faire : macérer dans une atmosphère saturée de moiteur, décoller la peau à l’endroit des piqûres de moustiques, frotter les écorchures avec du rhum où macèrent des feuilles d’absinthe. J’ai passé un an en Martinique il y a quinze ans, et je suis déjà malade de la dysenterie en pensant à l’enfer qui m’attend.Je pars en enfer comme Yo-Yo Jospin “quitte la scène politique” : vexé, mortifié, malheureux de n’être pas reconnu pour le mal qu’il s’est donné. Ca fait trente ans qu’il planche sur son programme, et au moment même où il est prêt on lui accorde à peine un regard amusé, une petite caresse sur ses cheveux blancs. “Allez Yo-Yo, va regarder la télé, nous les grands on a ‘élections présidentielles’, alors tu la ramènes pas s’il te plaît c’est pas le moment.”Moi pareil, super-baudruche Bourre m’a fait ce coup là et j’ai envie de disparaître. Il ne faudra plus beaucoup de temps pour m’ôter l’envie de voir à quoi je ressemble, ni de chercher dans les yeux des autres à quoi diantre j’ai pu ressembler jadis. Ne pas se voir dans un miroir, c’est être déjà un peu invisible.Je pars pour protéger Andréane. La mesure de surveillance dont je fais l’objet par décision de justice (assortie d’un sursis de trois mois de prison, si tu veux bien te souvenir de cet épisode) s’est commuée en une contrainte qui pèse sur elle seule. Comme rien ne pouvait être fait pour me nuire davantage ou me rendre la vie plus difficile qu’elle ne l’est déjà, la Juge a ordonné qu’elle se présente tous les mercredis chez un pédopsychiatre assimilé flicaille qui lui pose des questions stupides et embarrassantes. Treize ans, l’âge des secrets. L’âge où il faut se dépêcher de profiter de son droit d’ado : dire des gros mots et des insultes aux gens à qui on trouve une sale tronche. Passé ce délai, les convenances précisent qu’il faut se taire à jamais, sous peine de perdre son job ou d’être marginalisé. Or, ce pédo a une sale tronche et Andréane n’a pas envie de gâcher son après-midi pour le rencontrer. Elle donne ses réponses en fonction de son estimation personnelle du risque que j’encours d’aller en prison. Tu parles d’un parcours, et il n’y a même pas de cadeau à la fin de la séance.J’aime ma fille : ses caprices sont mon programme. Elle prend mes ciseaux de couture pour couper du carton. Elle prend ma pince à épiler et ne la remet pas à sa place. Elle ne rebouche pas les flacons de shampooing ni les tubes de dentifrice. Elle laisse une marre d’eau dans la salle de bain à chaque fois qu’elle fait sa toilette, elle éparpille les lanières de gruyère râpé tout autour du feu quand elle fait une séance de croque-monsieurs. Elle me prend mes sous pour aller jouer au loto. Elle réclame un câlin quand j’ai mis mes gants de caoutchouc pour faire la vaisselle. Elle regarde les séries débiles sur M6 et ça se connaît dans toute la maison parce qu’on ne peut pas régler le volume son, elle a cassé la télécommande. Je ne peux pas risquer qu’un psychiatre nous abîme notre rastatornade. Je voudrais aussi qu’elle découvre par ce voyage d’autres façons de s’impliquer dans un groupe de gens, et qu’elle se motive pour apprendre à aimer faire son travail de classe. L’étude restant, on le sait, le doux refuge des harcelés de toutes confessions et sous toutes latitudes, pourquoi ne pas s’y coller tout de suite ?Léo aussi me fauche mes clefs anglaises et mes tournevis pour réparer son skateboard, mais lui est soigneux et range les outils. Je pense qu’aux Antilles il aura de meilleures occasions de trouver des bons spots de surf, avant d’aller cotiser pour la retraite.Chantal m’a prévenu pour mes chats : ils vont me les empoisonner. Mes chats vont s’introduire dans les cuisines et voler les morceaux de poisson. Aux Antilles on détruit les animaux qui ne se mangent pas et qui prennent la part comestible des familles. Le chien a une meilleure chance de survie, s’il reste attaché car il est voleur de nourriture lui aussi.Si tu veux bien continuer à penser à moi il me sera plus facile de continuer à louer le Seigneur pour toutes ces jolies choses qu’il a faites, j’apprendrai à réciter le Livre de Job à l’endroit et à l’envers, et je déborderai peut être sur Jérémie, encore que ça semble assez chiant, pour ne pas dire redondant.Merci du temps passé à m’écouter par écrit. Merci aussi de m’avoir envoyé toutes les Croix. A la fin de leurs lettres les anglo-saxons écrivent “each Cross is a Kiss”, ça me fait plein de baisers pour prière du soir. C’est la dispense spéciale que je voulais obtenir, un encouragement à retourner vers toi. Blême d’angoisse de cette exode déguisée en simple changement de département et bouffie de toute cette nourriture que j’ingurgite sans arrêt maintenant pour faire taire mon ventre du dessous, je manque d’allure. Je n’arrive même pas à me faire vomir, si les raisons pourtant ne me manquent pas. On dirait un monstre qui s’essaye à sourire. Avec la meilleure volonté du monde tu serais obligé de me recaler. @ J’ai arraché quelques pages où je raconte pourquoi il m’a fallu quitter la Martinique et rentrer à Paris.Des quelques pages je pourrais faire un autre livre. Tropical Radeau. Un Tropical Radeau c’est comme un canot pneumatique, mais en dur. Le livre est dédié à Albert Einstein, qui a su nous expliquer les lois de la gravitation universelle sans cesser de tirer la langue (voir photo). Q Premier août 2002. Août, le seul mois qui soit à peu près supportable à Paris. Mais, aussi l’époque où les affaires courantes tournent au ralenti. Pour faire bonne mesure dans la série “j’ai ma plaque-macaron de notaire en cuivre tout étincellant au dessus de la porte de mon étude alors appellez moi Maître et laissez moi faire mes conneries en toute impunité”, la femme notaire était enceinte du huit mois et son bébé s’était mis en travers dans la matrice. Tu m’étonnes, avec une conne de cet acabit tout se passe de travers, et son bébé s’était mis en position de repli-camouflage. A sa place, je n’aurais pas non plus été trop impatient de voir à quoi ressemble le monde, ni de rencontrer la méchante gourde que les hasards de la génétique me destinaient pour mère. \ Vendredi 9 août 2002. Petit message personnel pour toi Jean-Paul ...Pour mon arrivée à Orly un parterre d’admirateurs m’attendait, avec des exemplaires de mon livre au bout de leurs bras tendus : “Lakma, Lakma, un autographe !”Il y en avait un qui n’avait pas d’exemplaire. On décide de rentrer à la maison pour lui tirer une copie à ce pauvre sans-exemplaire ;  pour saluer les marques paisibles de l’usure du temps j’avais décidé de changer les noms. J’ai pensé à d’autres noms sur tout le trajet. Je te cherche. Tu es là. Je regarde tes yeux : “dis-moi un nom entre un et dix”. A ce moment il y a une sorte d’autobus qui passe, avec une affiche sur le flanc. C’est LUCIEN écrit en lettres blanches sur fond rouge. Oh non, pas Lucien ! C’est vrai, Lucien c’est pas terrible.Je choisis Adrien. Adrien. Ad-rien. Au dessus de rien. En dessous de tout ! Et ça rime en plus. Allez, chauffe Marcel, Adrien c’est vendu.Bourre devenait “Tour”. mais pour les jeux de mots enregistrés sur ton répondeur depuis la cabine téléphonique de Brunoy ...“on est à la bourre” ... “allez bonne bourre”, ça le faisait pas. J’ai pensé à “chacun son tour” et “tu crèches à combien de kilomètres de Tours” mais c’était lège alors j’ai laissé Bour. Bour tout court. Quoi ça fait bougnoule ? Mais tu n’es jamais content ou quoi ?Sinon aujourd’hui je suis passée près du Parc Monceau et tout à coup j’ai ressenti cette ancienne allégresse infinie qui portait tous mes instants, tous mes mouvements, en mai-juin-juillet-août-septembre-octobre-novembre-décembre etc 2001 (j’ai oublié un peu la suite sauf que soudain c’était 2002) quand on était amoureux fous toi et moi. J’aimais cette bouffée d’allégresse infinie, je m’suis dit comme ça : tiens, y’a Bourre qui pense à moi (tu étais en train de méditer sur les méfaits de l’alcool au sein du couple marié en contemplant le stylo plume à deux balles que j’avais laissé au studio “Ici et Maintenant”, cette fameuse nuit où on avait essayé de racheter l’Afghanistan). Et mon coeur dilaté faisait écho à mes oreilles : Qua-dri-pho-nie, Old Boy ! Tu sais ce vieux truc des Troggs repris par Hendrix   ...Wild thing / ...you make my heart sing... / ...you make everything seem right, you make my whole world.. ...Espèce de Sauvage, tu fais chanter mon coeur, tu fais trembler mes mains, tu fais sourire ma bouche, tu fais ouvrir mon ventre, tu mets ma tête en enfer... Tant mieux s’il y a eu cette interférence virtuelle musicale car en voiture on ne capte pas très bien ici et maintenant. Ni ici ni maintenant.Bon ben on fait comme ça, alors. You’re the boss after all. 


 
 


 
 
 
 

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