certificat de conformité obtenu le samedi 12 juillet 2008

nunc est bibendum ...

(sans abus, cela va sans dire)


ce joli petit essai en forme de longue lettre d’amour,

brasier se consumant sur une cinquantaine de pages,

poème en urgence de faire la paix avec mes fantômes....

 

L’épilogue, en revanche, a l’odeur suspecte de l’amertume et la frustration.

Il maugrée, il appelle à témoins, il appelle à reconnaissance.

Il marque la fin de la fête ; c’est la stridence du réveil-matin qui éclate brusquement près de la tête, au point du jour, dispersant crûment le rêve et le répit que le sommeil avait permis. “On vit, les uns avec les autres, on dort, les uns contre les autres, on se cajole, on se désire, on se déteste, on se déchire, mais au bout du compte, on se rend compte, qu’on est toujours tout seul au monde”... C’est Fabienne Thibaut qui chantait de sa voix pure cette apologie justificative de nos comportements d’un instant à l’autre si contradictoires.

Tandis que Jean-Paul prend de l’ampleur dans la jungle parisienne, retrouve la matière vivante de manuscrits oubliés dans ses tiroirs et fait jaillir une lumière nouvelle sur ses versets naguère moribonds, dédicace ses livres au milieu de foules grimées et costumées dans le pur esprit de prolongation des noces perpétuelles, enlève son blouson sous l’oeil de la web-cam, couvé dans chacun de ses moindres gestes par l’univers en expansion de ses admirateurs, fait sa pub et ses promos sur l’antenne de sa radio Ici et Maintenant, tandis que sa vie retrouvée roule torrentielle, tandis que le rock and roll semble avoir été inventé pour lui seul tant il en émane de jouissance à chaque échantillon par lui choisi et présenté, tandis que le bloc de glace qui enfermait ses chevilles et le privait des mouvements essentiels a fondu si vite et court à présent comme un ruisseau libéré, moi j’éprouve les affres d’une rébellion secrète, cuisante, fielleuse, pour n’avoir pas reçu les retombées de poussière d’or, de gloire, de gratification.

Ma vie s’enlise dans la misère que je supportais en la chérissant, parce qu’elle était ma part accordée par Christ, et que Sa volonté soit faite... Cette misère douce que je portais comme un bijou précieusement ciselé me fait horreur, me fait peur, m’emprisonne dans un cloaque d’injustice, dans les oubliettes du néant.

Pour conjurer ce mal d’amour, pour attendre son déclin et sa mort sans faire trop de vagues, je téléphonais souvent à Claude. Claude Bel, un vieux de la vieille sur la radio libre Ici et Maintenant. Hypersensible, il suivait avec tendresse l’évolution de mon état languide, provoquait des réactions (est-ce que tu portes un dentier ?), aimait mes réponses (j’avais fait des tentatives dans mon quartier, euh, très prudentes : ils sont armés ces gens-là ! Mais j’avais renoncé parce que je voulais une petite effigie de la Marylin Monroe d’Andy Warhol sur la voûte palatale, et aucun orthodontiste ne voulait prendre en charge cette fantaisie)... J’ai fini par lui envoyer un petit cahier d’écolier, un semblable à ceux qu’avaient reçu respectivement Didier de Plège et Jean-Paul Bourre... Je ne me souviens plus très bien du texte. C’était un cahier couvert de schémas dessinés par Léo, à l’époque où il inventait des variantes du jeu d’échecs, avec pour pièces additives des éléphants, des tigres, des armés de soldats. Claude est un type fabuleux, sur la vie de ma race. C’est de lui que j’aurais dû tomber amoureuse. Il est chaleureux comme un feu de camp, il a la vraie compassion des gens qui ont eu faim et qui ont dormi dehors.

Tout à coup il n’était plus question que de la Saint Valentin. A l’origine, c’est un jour de l’année où les amoureux timides peuvent, sans risquer d’être de mauvais goût, adresser à la personne dont ils rêvent une carte postale spéciale : elle comporte un espace vide caché sous un coeur qui se rabat sur lui même. Il faut soulever le coeur en carton pour pouvoir lire son nom.

J’ai ignoré délibérément la Saint-Valentin, me concentrant sur la fête de Saint-Claude qui tombe le lendemain.

"Claude, aujourd’hui il est mardi 12 février 2002. Je suis allée porter à Chantal des sous pour le billet d’avion de Andréane. Au retour je me suis fait goinfrer par les flics et j’ai eu une amende pour défaut de contrôle technique. Question : payer l’amende ou attendre l’amnistie de coutume aux abords des élections présidentielles ?

C’est une question sérieuse : y en a-t-il un parmi ton clan qui s’y connaisse en “aftermath” d’élections présidentielles ?

Jeudi 14 février, demain on sera logiquement le 15 et ce sera la Saint-Claude. Je te fais ce courrier pour te souhaiter bonne fête : “Bonne fête, cher Claude, bel et aimable animateur !”

Si le courrier arrive le jour même de ta fête, c’est bon signe, signe que l’oiseau est content, comme écrit Prévert tu sais sur le poème où il faut prendre tout doucement une plume de l’oiseau pour signer son tableau et ensuite tout doucement effacer un à un les barreaux de la cage de l’oiseau.

Si le courrier arrive le lendemain, j’essaierai de faire mieux la prochaine fois, disons, aux alentours du prochain quinze février.

Je t’avais préparé ce cadeau allusif à la rubrique de “Charlie-hebdo” : les couvertures auxquelles vous avez échappé cette semaine. Cette fois-ci c’est Echo qui se meurt et me sabote mon effet humoristique. The show must go on...,

Didier surmontait son émotion en rappelant que, peut être à ce même moment, peut être tout près d’ici, un être humain luttait contre la mort entouré des siens et qu’il fallait relativiser la peine qu’il éprouvait pour son chien.

Donnes-nous des nouvelles si tu veux bien.

Cette nuit Jean-Paul nous a terrassé de son humilité et de sa puissance”, selon les termes d’un intervenant. On était tous et toutes fous amoureux de lui. Pour donner de l’eau à Echo à même le creux de ses mains, car le chien ne voulait que le creux de ses mains pour boire, il est revenu du Sacré-Coeur, du studio-refuge de Philippine chez qui il était passé quelques instants pour l’envelopper de toute l’exubérance et de toute la chaleur de son amour déjanté. Pendant le temps qu’il la caresse et qu’il lui accorde son étreinte, qu’il la pénètre et qu’il bouge en elle je me réfugie aux pieds de la croix, la petite croix d’argent que je prends pour dormir. Je demande “Seigneur, donnes-moi la charité, donnes-moi l’amour véritable, donnes-moi l’obéissance, donnes-moi la pauvreté”.

Le Seigneur entend ma prière, Jean-Paul et Philippine m’ont entendue aussi, m’envoient un peu de l’écume vaporeuse de leur plaisir. Et je reste étendue sur le dos, souple et offerte, le ventre dilaté de désir, le coeur débordant d’amour et d’amitié, me suffisant de toi et des réminiscences de ton rire pour synchroniser avec le reste du monde ma propre fraction de jouissance orgasmique, ma croix d’argent posée en équilibre sur mon sein vide et recousu. Comme quoi, Claude, on est vraiment une grande famille.

Echo se meurt et il ne faut pas laisser Didier tout seul. Va vite, je me lave le cul et je te rejoins. Ne m’en veux pas, je suppose que tu ne prendras pas une fille fanée et famée comme moi, mais je voulais te remercier de m’avoir regardé avec amitié, et aidé aussi, pendant tout ce temps que j’ai attendu le lendemain et que j’ai pu t’en parler au téléphone, pendant tout ce temps où pour pallier les effets douloureux de cette frustration physique.

J’engloutissais sans discernement drogues, alcools et variantes alimentaires, et ça pour l’alchimie c’est pas bon. Je le sais par JPB qui nous a raconté comment une nuit il s’était endormi sur une montagne après avoir pris une tarte aux myrtilles à la Chantilly (comme dans PulP Fiction) et une canette de Coke. Ça lui a fait tout bizarre et sur panorama sonore de drôles de musiques futuristes. Mais, s’il a réussi à s’habituer, pourquoi pas moi ?

Ce jourd’hui je n’ai plus de temps pour te parler de mon exode, de tous mes plans qui s’annoncent pas très “fluides”. Si l’on arrive en face de l’Amérique, on économisera nos sous et tous les trois ans on nous verra, la main sur le coeur et les lèvres balbutiantes, sur l’ex-emplacement des Tours Jumelles de World Trade Center, murmurant des litanies dans le recueillement le plus résigné.

Ensuite on retournera zouker dans les îles et se faire bouffer par les moustiques et les sales petits moucherons qu’ils appellent yen-yen. C’est ça le programme.

Cher Claude, j’ai peur de céder à Yves, le beau Cameroun en face de chez moi, parce que après m’avoir entendu rugir mon plaisir sûr qu’il va me coller et me prendre pour sa fiancée. Je te parle à toi parce que je sais que tu as déjà femmes, enfants, fiancées, amies, et que l’on peut tout entendre le jour de la fête de son Saint Patron.

Je pars poster cette lettre maintenant pour ne pas louper l’unique levée quotidienne.

Je ne veux pas faire de mal ; je ne suis pas une mauvaise personne. Mais, j’ai cette incontinence de vitriol, réflexe inné (incontrôlé) pour éviter l’empoisonnement du sang ; et tu sais que je veux tenir encore une dizaine pour les enfants qui sont encore fragiles, enfin les racines sont encore un peu lâches

Je promets d’essayer, encore, et encore ...Shalom,

Lakma  

 

  Andy Wahrol : Marylin Monroe

 

 

 Claude a lu un bout de cette lettre à l’antenne. C’était sans importance, et j’en ai chié une pendule. Je suis dans un grand malaise, parce qu’il faut quitter Saint-Cloud, parce que je n’arriverai jamais à rassembler tous mes brimborions dans des cartons, parce que je n’ai plus d’argent pour faire le mois de mars qui n’est même pas encore commencé, parce que je suis toute destructurée, parce que j’ai adoré Jean-Paul comme un dieu et que j’ai perdu de vue le vrai Dieu qui m’emmène dans les verts pâturages où rien ne saurait manquer... Plus rien n’est comme avant, je me réfugie dans des pensers suicidaires et négatifs.

Je suis en vrac, dans un fouillis apocalyptique. La période de sursis dans laquelle j’étais entré par la grâce de cette alchimique relation avec Jean-Paul est révolue. Je souffre d’en être exclue, après avoir tant prié pourtant, pour que tout cela cesse. J’ai fait une réponse à Claude, sans être motivée par la haine ni le chagrin ;  j’aimerai toujours Claude, qui est un authentique coeur d’or, et qui a fait ce débordement par habitude du franc délire, par pure rigolade. Comment pouvait-il imaginer à quel point je suis dans la panade, comment pouvait-il comprendre à quel point j’avais besoin de son sillage pour m’y réfugier ? Je n’ai pas pris le temps d’apprivoiser Claude, selon la méthode du Renard dans le Petit Prince de Saint-Exupéry.

Je n’ai plus de temps pour soigner mes relations avec les autres : je suis dans le flot de la panique parce qu’il me faut quitter cet endroit où j’ai toutes mes affaires, et je ne sais pas comment leur faire traverser la mer. Je n’ai aucun sens pratique, aucune organisation matérielle.

 

"Claude, estoye-t-il vraiment nécessaire que tu lisâsses ma lettre sur l’antenne de Radio ici et maintenant, ce mardi 19 février genre vers trois-quatre heures du matin ? N’avois-je point prescisé sur la page de garde : “Do not open before Christmas” ou un truc du genre ?

Ah vraiment Claude tu me fais beaucoup euh d’peine, oui, beaucoup euh d’peine.

Laisses-moi te rappeler l'énoncé de notre problème : une femme de quarante-huit ans vit en Ile de France avec son fils de seize ans, sa fille de quatorze, son chien, ses deux chats et quatre cent soixante-six €uhs par mois.

Elle se dit qu’elle pourrait au moins économiser sur les chaussures et le Humex (sinon sur les moustiquaires) si elle va vivre sous un climat tropical.

Tout en faisant les préparatifs de voyage elle pense à son garçon qui a bientôt vingt ans et qu’elle ne peut pas emmener parce qu’il veut continuer à bosser pour être autonome et qu’il est mordu de cette vie à Paris, il fait aussi D.J., il est magnifique, gentil et drôle et d’ailleurs c’est mon fils, mon grand Jojo mon grand escogriffe....

Elle essaie de brancher une équipe de Miscelleanous pour que son gamin ait des adultes à aller trouver si jamais il est en carafe.

C’est une femme (toujours la même : moi la tête dans la valise) dont toute la famille vient de claboter et son grand Jojo tout seul à Paris niveau copains ça va mais niveau grandes personnes il n’y a pas un pékin à qui il puisse aller demander un conseil administratif ou autre. Quelle angoisse pour la maman !

Et maintenant tu dis à l’antenne que je me lave le cul avant de faire mes branchements. C’est exact, mais demandes-toi qui ça peut bien intéresser avant de diffuser une telle information sur médias.

Pour fêter nos retrouvailles je m’étais mise à poil et je dormais dans les bras d’Emmanuel. Ma journée avait été longue et ingrate et je pionçais du sommeil du juste. Olivier (qui, lui, dort dans la journée) est tout affolé : “ils lisent ta lettre à l’antenne, ils lisent ta lettre à l’antenne !” Very big deal indeed ! Ma nuit gâchée, je me rhabille. Olivier va continuer à vous écouter dans une chambrine annexe.

Et moi je me dis : Mais il est idiot ce garçon (toi). Si c’était pour brancher des cons, ce n’était pas la peine d’attendre le mardi soir. Les cons, c’est tous les jours. Bon à une autre fois, le cul irréprochable"

Lakma


 

Et c’est tellement vrai que je m’inquiète pour mon grand escogriffe de Jojo...Tellement vrai aussi que c’est une aventure obscure, ces gens à découvrir, à écouter à la radio quand on n’a plus de points de repère...

Des gens que l’on se met à aimer et par qui, insidieusement, l’on commence à espérer, sans qu’eux-mêmes aient le moindre soupçon de votre existence... Bon sang, la machine à broyer ! Le piège à éviter à toute force, le tourbillon géant au bord duquel il ne fallait pas se laisser entraîner ! L’engrenage, l’enfer des autres, la comédie, la scène où le port du masque est obligatoire !

Dieu de mon enfance, Dieu de mansuétude pour les simples en esprit : emmenez-moi loin de ce mirage, très, très vite

 

 

  <cite>www.visoterra.com/photos.../maison-de-la-radio.html -</cite>

 

 

 


 


 
 
 
 

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