Iris noir arcoïdal
Voilà, c’est fini. C’est le white-out, l’heure de plus rien, l’évaporation des brouillards du rêve. Une quarantaine d’isolement sanitaire au terme de laquelle je pourrai être déclarée saine de tout germe en incubation, saine de toute contagion et de tout risque de rechute.
On me traite comme une convalescente, mais on me laisse lire mon courrier : lettres de rappel des impayés ... des vœux de prompt rétablissement ... des réponses et encouragements de la part des divers destinataires de mon manuscrit “arc-en-ciel radio” ...
Dans cette zone bleue imaginaire où ma tête s’est vidée peu à peu, lentement, des souvenirs provisoires d’une nébuleuse romance restée figée dans son état embryonnaire tourne en boucle un remake muet en noir et blanc, un chef d’oeuvre à l’ancienne décalqué sur un schéma de Grande Ruée vers l’Or.
Le chariot bâché lesté de toutes les espérances d’une vie meilleure, une vie nouvelle et faste, en plus de quelques provisions de bouche, en plus du vieux tromblon à plombs mis à dorloter sous la pile de matelas et de couvertures, et la cage aux perruches en osier peint surplombant le tout comme la cerise confite sur le pudding, cahote à vive allure vers l’Ouest aux mille promesses.
Qui a échappé à la fatale spirale des tornades, qui a sauvé son scalp des sauvages tribus de Peaux-Rouges, qui a su préserver sa vie et son chargement de traversées des déserts en survols de canyons, se voit maintenant les deux pieds dans l’eau de la rivière, tamisant inlassablement les boues et les graviers des bords, pour voir peut être quelquefois luire au fond de sa passoire une traînée de poussière d’or.
C’est tout ce qui reste de mon histoire, un résidu de poudre-aux-yeux à dissoudre dans mon infusion somnifère, et zou, au dodo.
Que le Grand Cric me croque, il me reste mon vieux tromblon, un peu de tabac, et mes perruches m’apprennent à parler l’espagnol : arc en ciel se dit “arco iris”. La cara oculta del arco iris, la face cachée de l’arc-en-ciel.
ça aurait pu se terminer plus mal.
Et elle me manque déjà, la douceur, la douleur de t’aimer ...
Saint Cloud, premier mars 2003
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