Cette semaine je fais ma cure de Gin. Avant la mort de Maman j’avais l’habitude de boire de l’alcool, c’était pendant tout le temps que j’ai été à la rue. On ne disait pas encore SDF, on disait “traînée”. Pardonnez-moi, les petits “vestiaires de rue” n’étaient pas encore implantés, et c’est un problème que l’on peut contourner lorsque l’on n’a pas ses aises : ne pas prendre de nourriture solide exempte du souci de se débarrasser des résidus. Pour avoir les joues roses, le coeur content quand même et une ration calorifique sinon vitaminée l’on se résigne à se nourrir d’alcool, produit de substitution en vente libre.
Je donne cette précision concernant mon état un peu éthylique de ce soir parce qu’en temps ordinaire, voici comment j’aurais commencé cette lettre à votre intention :
Cher Monsieur José Artur,
J’ai suivi vos indications avec grand soin, cependant les deux jours de vivres que j’avais emporté sont épuisés (és parce que j’accorde avec jours. J’ai hésité, je trouvais plus joli " ées" , pour l’accord avec vivres) et je n’ai toujours pas trouvé le théâtre du passage de la main d’or.
J’enverrai une fusée de détresse ce soir à vingt-trois heures précises, et j’espère que vous pourrez venir me chercher. C’est donc peut être une chance que j’ai un peu bu, car vous ne vous rappelez sûrement pas en quels termes vous aviez donné à l’antenne le moyen d’accéder à ce théâtre, ni le contenu conseillé de la valise de survie dont vous aviez suggéré de se munir pour cette expédition. De sorte que vous auriez pensé : “Tiens, voici une lettre dont le début est fort étrange ... Serait-ce une invitation à un rallye-paper, un cadavre exquis, une proposition de partenariat ? ...” Mais, ce n’est rien de tout cela. C’est une lettre où vous pourriez simplement lire : “Ah, cher Monsieur ! Le monde s’écroule, parfois, entre deux tours de cadran, alors j’allume ma radio et vous êtes toujours là, à discuter tranquillement avec vos amis, des amis qui s’appliquent à ne pas bafouiller comme pour vous dédommager de la peine que vous prenez de les entendre”. C’est un peu comme la récréation : j’habite derrière le mur de l’école maternelle et j’ai les cris et rires des enfants de dix heures à dix heures et demi. C’est l’une de ces “choses” qui doivent manquer lorsque l’on cesse de vivre.
Donc voici mon livre en souvenir. Je ne vais pas cesser de vivre tout de suite mais comme je m’entraîne dur ça me décale dans le temps.
J’étais fâchée contre vous pendant quinze jours il y a quelques mois : un théâtre dans le XIXème, qu’on voulait démolir, et vous croyiez que je ne voulais qu’attirer votre attention pour passer à la radio. Mon pauvre José ! Je suis une grande personne de un mètre soixante-six et je pèse au moins cinquante kilos avec mon pyjama. Je ne tiendrai jamais dans une boîte minuscule qui fait radio, ni même dans une télé, c’est beaucoup trop petit !
Avec mes amitiés respectueuses
Lakma de Kermal
\