Troisième époque
Déprismée
j'ai vu avant-hier l'histoire d'Adèle H.
La jeune fille a gardé dans le coeur le jeune homme qui l'a séduite, elle traverse l'océan pour rejoindre le régiment où il est un Lieutenant destiné à une jolie carrière.
Il a déjà fouillé son ventre, elle ne présente plus l'attrait d'une proie : il oppose à ses approches et demandes de régularisation de la situation une attitude univoquement négative, des refus d'une netteté sans appel, mais elle est dans l'aveuglement de sa passion et continue à écrire pour lui des lettres où elle l'appelle mon amour.
Elle le suivra jusqu'en Afrique où a été détachée la Compagnie de l'infidèle. Elle tombera de beri-beri aux antécédents pleurétiques et sera rapatriée dans sa famille Hugo où elle attendra la fin de ses jours.
On la voit coudre auprès de sa mère. Je rythme ma promenade avec ce refrain. Maman pique et Adèle coud. Merveilleuse Adjani, si jolie et gracieuse qu'elle enchante tout autour d'elle. On oublie qu'il s'agit d'un film, on ne voit plus l'écran de télévision, on est avec elle à Halifax, dans la boutique où elle va acheter ses rames de papier, on se laisse frôler par ses rubans.
Par définition, le destin est étranger à nos valeurs morales, comme le mérite, la détermination, la ténacité, la foi en sa bonne étoile. Et lorsque l’on évoque le droit à l’erreur, la vox populi réplique « y’a d’la veine que pour la canaille ».
Moi aussi je continue à écrire des poèmes pour mon amant de l’autre bout du monde, c’est ma façon de tirer l’aiguille, car l’art de coudre en bavardant avec sa maman au coin de la cheminée semble être une activité tombée en désuétude. Voici quelques échantillons de mes points de croix
Cette espiègle langueur qui passe comme un rêve
que je chéris si fort tout en la haïssant
de quarts d'heure aériens en indigestions lourdes
le remords cauchemar pour seul rêve éternel
et ma virginité en forme de losange
un granit rose et gris d'où coule une humeur noire,
de la boue, et du sang, et l'infâme vermine
qui grouille en gargouillant dans l'antre du plaisir ,
baisée, lésée, rendue muette par la peur
que ne viennent des gens habillés en gens d'armes
je me terrais de froid dans la terre odorante ,
ma détresse valait bien autant que la tienne
tu m'écrasais de tes blocs de stupre séché
et de ta violence avouée comme un luxe
puis le pouce et l'index en paire de pincettes
tu tenais loin de toi ma dépouille fripée
pour la jeter ensuite au feu purifiction
qui consume le gras des gigots et des porcs…
ce qu'écrivant elle appuyait de plus en plus lourdement sur la pointe de son stylo, réflexe de femme gâtée par sa naissance qui réclame l'attention sur sa personne, de la façon qu'elle aurait élevé la voix si l'homme qu'elle invectivait eût été dans la même pièce : « tu m'entends vieux pochard, vieux poids lourd, c'est pas parce qu'on sera là à dormir dans la rue qu'on ira au cul plus souvent ! » (une pauvre charretière, mes bons amis, ainsi était-elle),
Et à quoi le Maître répondit : "Pardon, Madame, à qui ai-je l'honneur ?"
Lakma des Gitans - le cri du poisson - 26 décembre 2003.
6
on me dit mignonne et charmante, je suis anorexique, j'ai cinquante ans. Je vous souhaite bonne lecture de ce texte qui j'espère saura capter votre intéressiation à mes ouvrages.
(vif du sujet)
... une coupe de Champagne du Noël dernier,
bien sage dans son compartiment blindé,
et que je bus avec ferveur comme s'il s'agissait de vin de messe.
Le souvenir de toi ne me quittait pas.…
alors tu m'as donné mes lettres de vieillesse
tu m'avais arraché ma défroque de vent
et je gisais sans fond au fond de ma détresse
mon âme était le lot d'une vente aux enchères
ne pesant pas plus lourd qu'une plume taillée
crissant docilement au rythme des dictées
que ta voix et mes mains continuaient d'écrire
pour tâcher de noyer sous des fleuves de mots
la vieille lâcheté ancestrale et prégnante
je larde de traits noirs la toile où l'on peut lire
le pacte que tu as conclu avec le Diable
validé feu sur sang d'un trait indélébile
et vos deux signatures, ainsi que des serpents
s'immobilisent en l'air après la danse vive
de leur langue fourchue, vont s'entredévorer
je lardais de coups noirs ma défaite à tes pieds
comme de coups d'épée trouant le noir du ciel
jusqu'à voir révélé un enfer tout en flammes
où je partais sans toi, aspirée par le vide
et tu ne portais plus sur moi un regard tendre,
ému ou amusé, comme j'avais cru voir,
alors je t'ai rendu tes lettres de noblesse
surannées et moisies, humides de chagrin,
tes dentelles de clown et ton coeur en trompette
serrant les dents de peur qu'une autre ne s'empare
des marottes vernies que j'ai aimé tenir
et n'oublie le respect qu'on doit à ces reliques
!serrant contre mon sein mon enfant saltimbanque
chantonnant pour tromper le salut de l'absence :
"je te verrai, pendard ! vilain !, sur tes tréteaux
aussi loin que tu soies j'enverrai sur ta tête
des anges messagers de toute ma tendresse
et s'ils sont malvenus il faudrait le leur dire :
ne fais pas voyager mes angelots pour rien
Ils iront visiter quelques autres enfants
que je veux rassurer aussi de ma confiance
et qui sont loin de moi puisque j'étais trop vieille
pour faire compagnie jusqu'au petit matin“
lettres obscures ” par Lakma de Kermal - 28 décembre 2003
« Hors Antenne »
une nouvelle automnale par Lakma de Kermal
C'est un monologue ininterrompu, à la façon des poètes que leur solitude inspire et maintient en vie. C'est une innovation obsolète.Le diable, c'est celui devant lequel on est seul, jusqu'au bout, jusqu'à la fin des temps.Le diable me fait peur. Et j'en suis à ma quatrième barrique de tequila, à me demander ce que diantre tu peux bien être en train de fabriquer : "qu'esses-tu fée ? ”. Lis ma nouvelle !
C'est une vieille femme. Une très vieille femme, presque irréelle tant elle est usée : on ne peut la décrire, elle est déjà transparente.
C'est moi cette vieille femme. Elle a vaincu la tentation. Elle travaille depuis un demi siècle à son exercice de discipline quotidienne. Elle s'applique à disséquer, comme un oenologue s'appliquerait à nommer les arômes qu'il reconnaît dans un vin, la saveur de cet amour étrange dont elle n'a pas voulu avaler la matière, la texture.
Elle avait saisi cet amour à la goulue, et l'avait écrasé dans le pressoir des muqueuses, entre la langue et le palais, l'avait exprimé jusqu'à la poussière, en avait recraché la chaîne et la trame, pour ne pas se charger en vain l'estomac. Les vieilles femmes souvent ont un système digestif aux fonctionnements anarchistes…
O cher morceau de mon âme
L'hiver s'annonce, solide et clair
Tout en givre et en neige bleue
Frustre en manières, aux agissements rudes
Dépouillant les manants de leur fierté factice
Nos chances sont déjà des relents d'amertume
A l'instant même où elles se présentent à nous
Elles ne sont pas en position d'offrande
Elles n'ont pas ouverts leurs cuissots, révélant le piège grossier.
Selon le procédé de polichinelle
Celui des femmes de mauvaise vie, des courtisanes tenteresses
Ce sont de nobles chances d'abandon et de confiance
D'échanges, de fusions, de parités sensorielles
Des chances de rédemption
Et que nous accueillons comme des étrangères
Par mécanisme contre les trahisons passées
Pas des trahisons en forme de coeurs enlacés et percés d'une flèche emplumée.
Pas des trahisons en tiroirs de coffre fort
Mais d'intimes trahisons aux couleurs affadies des photos de famille
Dont on voit le verso convenu dans leurs cadres elliptiques
Et que l'on soupçonne d'être marquées au recto, en lieu et en date,
par un fer chauffé au rouge
Elle s'en allait de ce mauvais rêve, contrefaisant le point d'interrogation par la voussûre de son dos, la légèreté de ses entrailles, et la gracilité de ses jambes piquées sur ses deux gros pieds en forme de sabots.
Si je pensais en anglais je me demanderais ce tu vas comprendre.
Deux gros pieds...
Two bulky feet plugged on these two dry-boned legs.
That’s it. And now the subtelty lies into this : les sabots, are they clogs are they hooves ? Decidedly there's no lingo like theirs's ...
A-t-elle mérité sa place en paradis
Par ce renoncement qui lui coûta la vie ?
Les forces vierges, les forces pures
Guerroyant les armées de souillure
M'ont hissée jusqu'à la zone
D'où je peux dire à qui me regarde “Comment puis-je t'aider ?”
Le héraut porteur de nouvelles passe entre les deux ombres
et donne à chacun sa correspondance :
quatre couplets en espagnol pour toi,
et pour moi,,le reste, en anglais.
C'est ce déchirement dont je parle, le mien, celui de cette vieille femme qui écrit sur sa tombe
"au futur antérieur elle aura rêvé
jusqu'aux limites de ce monde ”
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Correspondre avec toi, quitte à employer pour ne pas te perdre des mots et groupes de mots tirés de notre langue maternelle, la racine “ mater ” n'étant pas utilisée ici pour me glorifier de m’être casser le dos à me trimballer le Gaffiot au moment où déjà tu faussais compagnie à tire-d’aile au Sieur Aurien de Saint-Meaulnes pour connaître d'autres campagnes, quitte à faire retentir pour ne pas te perdre un vieux coup de clairon caserneux : “ je ne veux pas te perdre ! ”. Cette formule fleur bleue, mine de rien, sa mère comment elle arrache n'empêche.
quitte à gaspiller mon veuvage sous le voile d'une infirmière à la Salpêtrière, même en section gériâtrie, ou sous les voiles pourpres d'une Poule sur le retour dans un boxon bas de gamme.
Etre sursitaires à ce point nous implique jusqu'au bout de notre médiocrité,
jusqu'au bout de notre humilité, jusqu'au bout de nous-même nous nous forçons maintenant d’aimer ce que nous trouvions si moche.
Pauvres épaves de nous-mêmes, pauvres fantômes des espoirs que nous avions suscités.
Pauvres fantoches, réduits à notre condition humaine.
J'ai un peu perdu mon cap, je divague sur le temps. A nonente-neuf ans passés de quelques sons de cloches je me désole de t'avoir tant manqué. Et toi, est-ce que tu m'as manqué ?
Mais personne ne manque à personne, on se croise et on se sourit, c'est tout. “ We are the resident beautiful people ”, et il faut tenir bon avec ce peu de souvenirs.
Je t'aime fils ingrat, fils rebelle, mon fils au nez de mousquetaire gascon, et du haut de ces volcans éteints, du haut de ces montagnes usées, quarante systèmes solaires révolus et digérés corps et lumière nous contemplent et nous détachent de nos ambitions illusoires : tu sais mieux que personne de quoi je parle…
Je voudrais faire un recueil de mes poèmes en guise de souvenir pour mes enfants. Il m’en manque un, que je t’avais adressé. Je n’ai mémorisé que quelques phrases :… Le fameux poème (que j’avais intitulé temporairement (Mercy is a bitch) est congelé dans le disque dur d’une vieille bécane qui ne reconnaît plus personne.
FIN DU MONDE